2006 - Routes Est...ivales


Le projet

Itinéraire et points de connexion internet
Itinéraire et points de connexion internet

De la porte du garage à la Mer Noire avec vélo , tente et réchaud. Pour ce premier voyage lointain, je prends un guide : le Danube. De sa naissance en Allemagne, il m'entraîne à Vienne, m'ouvre les portes de l'ex-rideau de fer à Bratislava, me mène en Hongrie avant d'écorner la Croatie, de plonger en Serbie et de découvrir l'irrésistible Porte de Fer roumaine.

Sur les rives de la Mer Noire, la tête pleine d'Orient, je décide de rentrer à vélo par Sofia, l'ex-Yougoslavie et le Tirol pour donner un toit à cette construction avant d'y coller une porte ... celle du garage.

Un périple de 6300km en 57 jours, une aventure forte peuplée de rencontres parfois angoissantes, une découverte des autres aux racines d'une culture inconnue, déstabilisante mais tellement attirante, des images percutantes imprimées en ma mémoire à défaut de l'être en ma caméra.

Deux mois de vie qui tranchent avec les dix autres mois ... de somnolence.

Article 1 posté à Regensburg (Allemagne)

Après les plaisirs de la Forêt Noire, de ses cols aux difficultés multiples, Donaueschingen m'offre la source du Danube. Instant important pour moi. Ne sachant pas ce que je cherchais, la surprise fût totale, l'image de la fontaine résurgente à jamais gravée. Reste 2850km pour la Mer Noire. Sur la Radwanderweg, le plaisir de rouler me rattrape, l'orage et le quotidien aussi.
Mon 1er dimanche et son lot de mauvaises surprises ... tout est fermé. Pas d'eau par cette canicule. Dur. Vastes plaines et défilés étroits se succèdent alors que mes gènes germaniques se réveillent : "Hummel" pensez donc ! Déjà Ulm, je galope, le Danube épaissit, moi pas. La cure est sévère. Donauwörth et Neuburg aux architectures massives me grandissent par rapport aux champs de culture. Monotonie des paysages, gentillesse des locaux. Les orages ne me quittent plus, leurs violences sont sublimes. Les habitudes me gagnent. Gênant. Le Danube grossit, je pédale. Mon hygiène corporelle est minimale presque intellectuelle. Tout s'arrangera, patience. Ingolstadt et Neustadt éclairent les langueurs d'un été infesté de moustiques. Aujourd'hui Regensburg, ses bateaux, son Danube, sous le soleil, les vacances sont heureuses, le moral génial, l'Autriche, à moins de 200 km. Dans 2 jours l'Allemagne me quittera pour se consacrer à d'autres tâches.

ARTicle 2 posté à Gyor (hongrie)

Depuis Régensburg quoi de neuf ? A Straubing, ville pleine de charme aux coloris et architectures très germaniques, je récupère un bel orage puis la pluie, 16h sans interruption ! Longue la route ... et trempée. Je monte la tente sous la pluie à Bogen contre le Danube dont la violence me fait peur. Rarement sur le bitume auquel je préfère les pistes, moins risquées. Reste moins de 2300 km pour la mer noire. J'ai aimé aussi Deggendorf (particulièrement mes rencontres) et Passau pour la chaleur de ses rues envahies par les supporters de l'équipe nationale. En direct du pavé, retransmission du match de football de la coupe du monde Argentine / Allemagne. En apothéose de cette journée, passage en Autriche, pays de mes ancêtres. La traversée du Danube m'en donne une vision ... superbe et majestueuse. Le lendemain je confirme, l'Autriche, c'est magnifique. Un rien me fait rêver, quelle prestation de luxe. Je découvre Linz, grosse ville, révélatrice du caractère autrichien, mais qui bourdonne, foisonne, en un mot ... me saoule. Pour dormir je choisis un abri ... sans limace. Le bonheur, 1000km au compteur. Le Donau m'emmène à Grein, fêtes dans tous les villages, cyclistes nombreux, il est vrai c'est dimanche, mais quelle ambiance. La vallée se resserre, moi pas, les épiceries sont fermées. Le vignoble apparaît, si si. Partout gaîté et ripaille, sacrés larrons. Krems, 134km, le stress s'invite à ma table ... Après Tulln, voici Wien (photo), magnifique joyau mais que de japonais ! La musique est dans la rue, comme l'architecture fastueuse de ses murs, et le spectacle. Au piano une japonaise couleur locale comme les moustiques pour dormir ! Hainburg, ultime bastion avant Slovaquie et Bratislava. Le décalage est énorme, les administrations sont à la peine, la ville totalement en chantier comme embrasée, la langue impossible mais les nouvelles technologies omniprésentes comme d'ailleurs la cigarette. Pour être dépaysé je le suis. Même trouver à manger n'est pas simple. Je roule sur les bords du Danube avant de le franchir pour pénétrer en Hongrie, à Gyor d'où j'écris. Moins de décalage, de surprise ici, je lui trouve des accents autrichiens. Avec une communication difficile, toute action est grande consommatrice d'énergie, heureusement pédaler regonfle mes accus. Je compte sur moi et mes facilités d'adaptation mais le problème est que les pays défilent vite ... trop vite. A bientôt dans un autre lieu comme celui-ci, fruit du hazard, le pays ne sera qu'une devise.
Grosses bises.

Article 3 posté à Belgrade (Serbie)

Dur de trouver un point Internet.

Quoi de neuf depuis Gyor ? C'est vrai, la Hongrie ne me pose que peu de problèmes, tout est naturel. Le Danube que je longe reste invisible de ma selle sauf à Komarom ... Plus de piste cyclable, mais du béton, du camion, de la ligne droite sans fin qui affole les chronos. Les automobilistes ignorent les limitations de vitesse, serait-ce le goût de la liberté ? Peu de vestiges industriels ou de fermes de cette république populaire défunte. Esztergom et sa célèbre basilique mais également cité balnéaire aujourd'hui mal exploitée. La cellulite apparaît doucement sur les corps, la civilisation occidentale prend des formes. Les investissements sont engloutis dans les villes et infrastructures, la campagne reste par chance naturelle. Que de bacs sur le Danube ... Jour consacré à Buda rive droite et à Pest siège du Parlement. Square des sanglantes manifestations de 56 violemment réprimées faisant des centaines de morts. J'ai aimé me promener dans cette histoire récente. La capitale prépare le cinquantenaire de l'insurrection, le pays l'attend. Par contre, la ville est trop grande, trop diluée de part et d'autre de l'immense Danube. Les façades sont grises, les touristes nombreux et la route de l'adieu très dangereuse. Longue descente fastidieuse plein sud le long d'un fleuve de moins en moins accessible. Population chaleureuse mais rares sont les coups de coeur visuels. Les orages sont de retour ... ma route s'accélère. Szekszard, Mohacs, Udvar et la frontière ; adieu à la Hongrie, j'entre en Croatie. Sur ce morceau de territoire, la pauvreté est terrible. Après 30km j'entre en Serbie sans problème mais sans plaisanter avec l'administration, stricte et autoritaire. Le soir, finale de la Cup. Mon statut de Français engendre une grosse fête au Kajak Klub de Bezdan. Coule le Danube ... et la bière. Appelé Zizou, la boisson a raison de mes jambes, je m'écroule. J'ai changé de monde, lentement sans presque m'en rendre compte. La Serbie est ici déshéritée elle n'en est que plus belle. Routes, voitures, monuments, matériel agricole, trains, bus ... tout est dans un triste état, pas le peuple qui me révèle sa chaleur, son humanité et surtout sa fierté. Région céréalière, je découvre la livraison du blé chez l'habitant, sur une toile devant la porte ! La guerre a meurtri le pays, le peuple n'en est que plus attachant. Voici Novi Sad, belle cité mais moins exaltante que ce qui m'a été rapporté. Mouton noir de cet imaginaire peloton, je ne parviens pas à me fondre dans le paysage. Jamais je n'ai connu autant d'attention, d'égards, d'intérêt ... Submergé ... comment expliquer ce phénomène ? Seul étranger, cela n'explique la fougue, l'enthousiasme et toute cette curiosité. Serait-ce le mythe du vélo, le rêve du voyage, l'image de la France ? Je dors à Batajnica, aux côtés de la misère, sinistre mais réelle et, faute de mieux, cet endroit me convient. Ce matin, Belgrade. Je rêvais de cette ville : terrible déception. C'est ici que je mesure la profondeur du fossé, l'écart de nos quotidiens, le pittoresque des existences. Bonne chance à eux ... ce peuple me plaît dans sa lumineuse beauté.

Article 4 posté à Călărași

Lors de ma dernière connexion, je me croyais à Belgrade alors que ce n'était qu'un faubourg. Après un parc démesuré, les buildings me cernent, je traverse l'un des multiples bras du Danube. Tout est démentiel, monumental, gigantesque. C'est indiscutablement la ville la plus impressionnante. Européenne soit, mais déjà lointaine, étrangère de culture. Fascinés, surpris, étonnés, mes yeux ne peuvent tout voir, tout surprendre. 2 mondes se cotoyent ici, la pauvreté et la richesse mais l'écart est énorme. Le peuple s'écoule des bus et métros bondés, la circulation est indescriptible, les trottoirs envahis, la chaleur extrême. Tout cela se passe pourtant dans la meilleure entente. Si Beograd n'est pas la Serbie, elle lui ressemble par ses différences. En un mot : extraordinaire, l'évasion est totale, la séparation douloureuse. Je file sur la Roumanie, sa police est pointilleuse ... et lente, le pays moyennageux. Les révélations m'assassinent : routes en terre, maisons idem collées les unes aux autres dans un long cortège silencieux et sans vie. La chaleur culmine, pas la route. Heureusement. Ma qualité de français est un pass, les contrôles de police en pleine nuit sont insupportables. La Porte de Fer. Dans les gorges du Danube, les Carpates me dominent. Le sublime des lieux équilibre l'absence de banque donc d'argent. La faim et la soif naissent, la fatigue pèse. Grave. 2300 km courage. Encore 2 contrôles de police, je suis bien gardé. Pays francophone, le Danube trace ma voie. La fresque est superbe, l'eau manque. Après 150km, Orsova : ouf argent, eau. Eau et repas, flippant. La vie reprend, les soucis reviennent, l'aventure continue. Alors que mon horizon s'éclaircit, l'orage éclate avec une violence terrible. Danube monstrueux j'en ferai mon lit cette nuit. Je longe le fleuve, plus de 130 km pour atteindre Califat. En campagne, les épiceries sont nombreuses, les conditions d'hygiène absentes, les routes sans revêtement, le travail un péché, le matériel en panne, les chiens errants, les indigènes assis à l'ombre, les pâtres endormis sous les arbres heureusement nombreux, les bars incomptables, les hommes au café, la bière visiblement excellente. Seuls charrettes et chevaux sont en mouvement. Misère : femmes et enfants me réclament des cigarettes. Tiens c'est dimanche. En Roumanie rien ne différencie ce jour des autres, magasins ouverts, bergers allongés dans les pâtures, la somnolence est générale, le soleil et la poussière mes compagnons de voyage. Sur la route, l'attraction avance lentement, l'itinérant est un spectacle pour toute cette population qui attend sagement la fin de la journée dans la plus stricte immobilité. Quelle vie ! Le seul spectacle est celui de la rue. Je découvre les inondations du Danube ... dramatique. La photo est difficile, les sujets peu renouvelés, les crues impressionnantes mais peu photogéniques. Dans ce pays à 2 vitesses je vis avec ceux qui se traînent, avec l'Est les conditions empirent, le quotidien devient exigeant. Heureusement quelques éclairs me revitalisent particulièrement à Torno Magurele. Attention, me dit-on, aux tsiganes, bandits de grands chemins. Rarement le Danube me montre ses formes alors que celles de Zimnecea et Giurgu ne sont guère appétissantes. La misère grandit de jour en jour, ma fatigue également. Le contact avec les locaux est de + en + pesant, physique. La fatigue mentale ne m'aide pas, les ados nécessitent de l'autorité. Une gestion fine des contacts s'impose. Je décide de prendre des vacances et de faire un détour par Bucaresti. pour éviter les soucis, je dors dans un champ de maïs. Centre harmonieux, pub géante et explosive, espace, jets d'eau, immeubles monumentaux je me sens un peu écrasé dans cet environnement mais pas étouffé. Agréable détour et bonne initiative. L'heure est venue de retrouver mes petits frères les pauvres sur la rive du Danube perdu dans son immense vallée spongieuse. Surprise, invité à la hutte de Pietr, dodo entre joncs et moustiques au milieu d'une nature pas facile, mais à l'abri des gitans. 28 jours et 3000 km. La route jusqu'à Calarasi est de + en + infernale. Je vais franchir le Danube pour la dernière fois.

Article 5 posté d'Eforie (roumanie)

Youpi. Je ne résiste pas au plaisir de vous dire que la Mer Noire est à mes pieds, terrassée. Prétentieux non, mais content et heureux. La 1ère partie du challenge est atteinte, le retour va s'engager, il faudra me suivre pour connaître l'itinéraire.
Après mon dernier contact à Cadarasi, j'ai rencontré un randonneur allemand sur la route des Indes. 2h ensemble et quelques km puis adieu nos chemins divergent. Par le bac je franchis le Danube, pour la dernière fois. Je laisse le delta à d'autres, les risques sont parait-il trop grands. Adieu à ce monstre qui m'a guidé jusqu'ici, il va me manquer. Séparation douloureuse. De nuit je monte ma tente dans un monastère où le moine Atal m'attend, Compostelle me donne des idées et St Christophe la chance. Journée très difficile, chaleur d'enfer (et pourtant, je n'y suis jamais allé, en enfer), mauvais revêtement et longues portions pavées, terribles et incessantes montées aux pourcentages énormes, vent de face. La Roumanie se défend de cet assaut qui devrait être le dernier. Epuisé, un gardien accepte de me prendre sous sa protection à l'entrée de Constanta. Soulagé, je m'endors le long de la 4 voies. Pas idéal pour le repos, mais faute de grive ... A 7 km du but, la forme est éclatante au réveil. Voici Mamaia puis Constanta. La Mer Noire me fait face, dans ma tête se déroule le film de l'aller. Un peu de temps et de réflexion pour décider du retour ! Ici, la Roumanie n'est plus roumaine car sur cette côte, les pauvres sont déjà riches. Mes yeux peinent à voir, c'est extraordinaire ici, je suis ici. La côte me prend la main doucement et m'emmène avec elle plein sud ... A bientôt.

article 6 posté de pirot (Serbie)

Quel bonheur d'avoir atteint l'objectif. Je n'ai pas pu m'empêcher de vous en faire part. Je dois à présent envisager le retour. La côte m'accompagne puis, lassé de ne jamais accéder à la mer sans détour, je décide de grimper par les plateaux de Debrudzansko pour entrer en Bulgarie. Dobric est une grosse ville au style soviétique marqué. Sa conception la rend particulièrement agréable. La zone côtière ne reflète en rien le pays. Libéré de la contrainte du Danube, je sors la tête de l'eau et reprends goût au pédalage. Liberté retrouvée, c'est toute la tête qui respire, qui s'aère. Superbe nuit en pleine nature pourtant rébarbative et piquante. Le besoin d'argent impose un retour sur Varna et la Mer Noire. Coucou, c'est moi. Magnifique, mais ne t'emballe pas. Centre-ville vert, calme, reposant et immense. Interdit à tous véhicules, le silence est tombal, le bonheur tropical, la fraîcheur végétale et le four au max. Bain dans une source chaude, me voici motivé. Direction Sofia. Sur la route brûlante, les prostituées sont chaudes elles aussi. Je résiste au démon et en récompense, après un détour de 10 km, nuit dans le parc d'un monastère femelle. Baigné par la douceur du lieu il remonte en moi comme des effluves de mon pèlerinage à Compostelle. Dès l'aube, pour me punir d'une bonne nuit, j'empile 110 km de bosses aux pourcentages infernaux sous un soleil de plomb. Targoviste et un superbe panorama sur la vallée seront mes seuls trophées. L'infernal alphabet me rend ce pays terriblement étranger même si je détecte des similitudes avec la Roumanie. Inactivité criante, chevaux et chariots virevoletants, mendicité pénible et collante, chaleur lourde, nature dominante, véhicules agonisants, ce pays est probablement le plus pauvre que je connaisse. Les grands axes défoncés donnent lieu à des conduites audacieuses qui se traduisent par une multitude de plaques funéraires donnant aux routes un aspect bien noir. Sur les contreforts des Balkans, les villages sont rares, la chaleur opaque, la vie absente, la photo sans intérêt mais le parcours athlétique. Chaque rencontre est l'occasion d'un encouragement, souvent d'un arrêt. La rareté fait la chereté. Dans cet environnement, les jours se ressemblent, les confusions se répètent. Manger et dormir font l'objet de raids sur des bourgs de montagne. Je suis alors confronté à un monde de souffrance et d'immobilité. Par goût de l'aventure, j'emprunte une piste qui traverse d'immenses communautés de gitans inactifs, inquiétants. Mon taux d'adrénaline explose mais il est trop tard pour reculer. L'hostilité que je ressens est palpable, le touriste est fébrile. Après une nuit de repos, un col d'enfer situé à 900m. 15 km de montée dans la poussière et une circulation étouffante pour cause d'autoroute déviée. Je plonge sur Sofia. La visite est artistique, un peu décevante mais sans regret. Pas de choc, pas de rêve, pas d'écrasement, pas d'étonnement, pas d'émotion exceptionnelle malgré une architecture particulière, un caractère oriental prononcé. Mon attente était d'évidence trop forte. Je franchis le cap des 4000 km.
A l'aube après quelques clichés d'un autre siècle je file sur la frontière où une cohorte de camions attendant patiemment. Royal j'entre en Serbie et vous donne des nouvelles depuis Pirot. Four bloqué au max, je reprends plaisir au voyage, la pression tombe, les dangers s'éloignent. La fierté serbe me requinque et si son coeur est chaud, sa main n'est pas tendue ... les vacances sont de retour.
A bientôt.

article 7 posté à sarajevo (Bosnie-herzegovine)

Après mon petit mot de Pirot, visite de la ville. On n'y passerait pas une journée complète, mais les Serbes sont vraiment amicaux et sympas, remarque déjà faite à l'aller. Moral regonflé, je continue la descente sur Nis mais dors bien avant. Le ciel n'est pas beau, ce qui risque de rafraîchir mon enthousiasme pour ce pays. Je commence ma journée par un film dont je suis l'acteur, avec passage d'un défilé encombré de camions, dans une poussière à couper au couteau et à travers de nombreux tunnels non éclairés et pavés. Extraordinaire situation et frayeur extrême, mais plus la peur est forte, plus le souvenir sera profond. Après cette séquence, Nis, grosse ville serbe, me paraît un peu fade. Je n'y traîne pas. Le vent se lève et souffle de face. Il tire de toutes ses forces un rideau de montagnes qui se rapprochent bien vite. Fichu vent ! Je clos ma journée dans la banlieue de Krusevac comme je l'avais commencée : sans oser prendre une photo. Ce matin par peur, ce soir parce que juste regarder me donne honte ... alors photographier ! Durant mon périple, j'ai évité de prendre des visages, le respect de la vérité c'est aussi cela. Je roule à présent dans un large corridor bordé de montagnes, le vent ne faiblit pas. Krajeno, Cacak, l'étau se resserre, la route monte mais le paysage est un plaisir. Dans cette vallée flanquée d'au moins une bonne dizaine de monastères, prendre le temps de les parcourir serait une bonne idée. La mienne est autre. A 20h, je demande asile au monastère femelle sur mon chemin ... le pass Compostelle ne fonctionne pas, je termine à la rue contre un torrent à Orcar Banja, beau nom pour un repos bien mérité. La lassitude des tâches quotidiennes me gagne alors que la route devient véritablement montagneuse. Les Balkans sont ici belliqueuses. Hier 4 montées à 10% très très longues, fastidieuses et exténuantes. Il faut dire que les montées rectilignes ne sont pas pour me plaire. De plus, j'ai fait une erreur de parcours GRACE a cet alphabet infernal qui orne les pancartes. Il m'a été facile d'ajouter une quarantaine de km à mon périple. Je plante ma tente à proximité de Mokra Gora, frontière entre Serbie et Bosnie. Pratiquement aucun trafic entre ces 2 pays. Etonnant non ? N'ayant toujours pas pratiqué de camping, je rêve d'une bonne lessive et d'une bonne douche. Rêve toujours, ce ne sera pas encore pour ce soir. Je reste étonné par la cordialité, la sympathie, la chaleur de ces Serbes au coeur immense et ouvert. J ai dormi aux environs de 1000m car je plonge dans une terrible descente sur la Bosnie. La frontière est minimaliste, mais la photo ... interdite. Quel pays montagneux, beau mais pas facile d'accès. A Visegrad un peu de cash pour mon alimentation, mon eau et mon moral. La chaleur mord toujours. Je note sur cette région les séquelles de la guerre, maisons brûlées, impacts de balles et autes projectiles, lieux interdits où les mines dorment ... Je m'engage à nouveau dans la montagne, écoute 2 pécheurs et utilise un chemin de terre initialement ancienne voie ferrée. Près de 50 tunnels dans la matinée, 105 l'après midi, sans lumière dans la boue... l'enfer ! L'orage arrive, la nuit tombe, le moral chute. Devant moi un nouveau tunnel, à droite un champ de mines, je dors à gauche. Une queue d'orage suffit à ma joie ! Comme hier, j'utilise ma petite lampe pour perforer des tunnels bien noirs ... mieux que rien. Enfin le bitume, la circulation et Sarajevo. Extraordinaire cité pleine de vie, de touristes, d'échopes, un véritable décor pour conte des mille et une nuits. La ville est étroite, les montagnes nous dominent. A voir. Même sans voiture, sa taille rend la respiration difficile. Je continue la visite.
A bientôt.

article 8 posté à Ljubljana (Capitale de la Slovénie)

Mon dernier point presse précédait une longue errance dans les rues de Sarajevo. Ville immanquable, aux facettes multiples et vivantes, au tour de taille important, à la culture musulmane, aux mélanges judicieux, aux couleurs vives, à la promiscuité forte, au tourisme féroce, au contact perpétuel, elle demande quelques jours pour être séduite, sentie, aimée et découverte. Moi, avec mon vélo, ça va vite, le temps me manque, la route m'appelle. Trop sollicité, l'énergie me manque. Mon vélo est un pass, une clé d'accès aux chemins de la liberté. Il fait rêver, il questionne, il interpelle même dans ce parc à Mickey très sympathique. Impressionné par la puissance du lieu, frustré par le manque de temps, il me reste le foisonnement de ce souk aux couleurs bigarrées, aux musiques orientales, aux mosquées extraordinaires, aux odeurs exquises ... tout un pan de culture nouvelle auquel j'adhère. Journée écrasée par la ville et mes 4600km. A 5h du matin, les démons aquatiques se réveillent. Dans la tente non tendue (il ne pleuvait plus depuis si longtemps) 10 cm d'eau. Alerte. Trop tard tout est trempé. Journée dans la tourmente d'une circulation intense et belliqueuse, d'une météo infernale, d'un profil routier qui épouse parfaitement les formes avantageuses de cette montagne et les 920m du col Komar.
Les villes de Travnik et Donji Vakuf ne me laisseront pas un souvenir impérissable, de même que ce grand déballage de mosquées auxquelles je reproche le manque d'originalité. Il en est souvent de même pour tous les cultes et leurs églises. Je découvre également la guerre des Balkans alors que j'avance péniblement. Drôle de façon d'appréhender l'histoire non ? Aujourd'hui probablement la plus chouette visuellement avec les gorges du Vrbas Klisura même si j'ai vu y flotter des millions de bouteilles. Mon moral en a souffert, ma rage reste intacte mais que faire ? Banja Luka, une déception après les descriptions entendues, ce grandiose n'est pas le mien, son aura est faible.
De la Bosnie, je retiendrai surtout ses identités multiples, ses courants divers. Elle m'est apparue telle un puzzle, un assemblage de peuples, de communautés, de cultures. Etonnant que tout cela forme un état. Drôle d'impression, peut-être à cause du temps qui en ce moment n'est pas très sympa. Côté circulation je pense avoir fait le bon choix avec l'itinéraire de Banja. Réveil humide sous un beau ciel bleu. Sûr de moi, 36km avalés avant de m'apercevoir que je roule à 90 degrés par rapport à la bonne direction. Toujours ce foutu alphabet. Sans autre solution, demi-tour. 73km de punition. Itinéraire plat pour rejoindre la frontière Croate. Moins déroutante, plus européenne, le cap des 5000 km est franchi. Revoici la Croatie profonde, celle des déshérités. Pour avoir serré une main avec trop d'humanité, un verre d'eau m'est offert. Timbale toute sale, eau ... que faire sinon l'avaler ? Je suis bon pour une nuit de remords et d'angoisse. Le temps ne me fait pas de cadeau, il rattrape les beaux jours perdus. Journée fade qui me dépose aux portes de la capitale. Au matin j'entre dans Zagreb entre 2 averses et soudain le soleil apparaît. Un centre ville immense réservé aux piétons et aux trams, un silence extraordinaire, des bâtiments de qualité qui reflètent une histoire, une propreté exemplaire, une jeunesse absente ... cette ville me fait penser aux villes d'eau avec ses curistes. A cette heure, elle ne me dépayse pas, elle sent l'Occident. Je file sous le soleil et entre en Slovénie vers 16h. Alors que tout va bien, trop bien peut-être, un insecte volant me percute et me pique volontairement sous l'oeil. Douleur intense, je lutte contre l'adversité qui me frappe et termine l'étape d'un oeil, le bon. Ce matin, grave, les 2 yeux sont gonflés (moi aussi de prendre la route). Avec mon faciès de lémurien, j'entre à Ljubljana après 90 km d'échauffement. Superbe ville, complètement européenne, pleine de vie, de monde, de monuments. Architecture plaisante et audacieuse. On ne peut que conseiller la visite, Je trouve ce pays comme étant une copie de l'Autriche, je parle de la Slovénie du Nord et la capitale n'est en rien une ville yougoslave, mais plutôt viennoise. Je continue mon exploration des rues et je file. Il faut que j'étudie ma prochaine destination, sachant que tous les chemins mènent à la porte du garage.
A bientôt.

Article 9 Posté de la porte du garage

Je désirais parfaire ma connaissance de Ljubljana mais un orage d'une rare intensité m'en a empêché. Sous des trombes d'eau, j'ai trouvé asile au club de rugby de la capitale. Chaude ambiance, bière fraîche, ma qualité de Français a enthousiasmé les joueurs et scellé notre amitié. Au matin, la pluie ne ménage pas ses efforts. Elle m'accompagne sur les contreforts alpins jusqu'aux premières stations de ski avant de me laisser grimper seul à Kranjska Gora aux pistes verdoyantes, puis à la frontière italienne. Adieu à cette ex-Yougoslavie, à cette Slovénie tellement autrichienne sur son front Nord. Elle a perdu une grande part de son identité pour se fondre dans le creuset Européen. Après la force des souvenirs passés, ce pays manque pour moi de personnalité et de saveur, le dépaysement appartient au passé. La pluie me rattrape durant la nuit et me traque toute la journée. 2 cols au programme, le Passo Pramollo 1530m aux pentes impressionnantes qui m'ouvre le passage sur l'Autriche et le Gailberg Sattel 980m saturé d'eau. Au sommet une cabane à frites inoccupée sera mon refuge. 80km, plus dure journée du voyage, glacé et trempé, moral aussi bas que les nuages, mon duvet sera mon seul réconfort. Au matin, dur de s'extraire du sac et de se jeter dans la tourmente et la descente... glaciale. Arrêt à Lienz, récupération difficile, belle ville qui manque de chaleur en cet automne précoce. La neige modifie mon itinéraire, je file sur Sillian et l'Italie par les Dolomites. Paysage magnifique durant les 4h de liberté que m'accorde le ciel. Je dors à Monguelfo dans des conditions extrêmes de froid et d'humidité. Sous abri, 8° à 18h. Infernal. Réveil hivernal, neige à 1600m comme en plein été. Démarrage difficile. A travers les bancs de brume apparaît le ciel ... bleu. L'espoir renait. La ville de Brunico est à voir, très colorée et fresques murales multiples. Régal sur les routes des Dolomites. En fin de journée, le Brennerpass 1350m sans aucun intérêt me réintroduit en Autriche et son Tyrol majestueux. Descente sur Innsbruck, soudain le ciel devient d'encre, arrêt dans une remise pour éviter le bouillon. Au lever, froid et pluie m'accompagnent à Innsbruck où le déluge s'abat. Le moral plonge, j'écourte la visite, le plaisir disparaît. Maintenir mon moral à flot reste mon souci premier, tous mes vêtements sont à présent humides ou trempés, seule la bête est encore chaude ! C'est encore les précipitations qui m'arrêtent dans la montée sur St Anton pour dormir sous le porche d'une chapelle : froid mais sec. Au déjeuner, raide la pente, basse la température. C'est le moment qu'attendait le câble du dérailleur pour casser. Réparation à St Anton le 15 Août, la chance reste aux aguets. Le soleil apparaît au sommet de Albergpass 1795m... mon Austerlitz. La clé de mon retour sur la France. Soulagé, je file comme une bombe sur... le Rhin. Je modifie mon projet et suivrai ses rives jusqu'à Basel, comme à l'aller j'ai suivi celles du Danube. L'homothétie me plait. Le combat est engagé. Il me faudra près de 3 jours pour parcourir les 400km qui me séparent de l'arrivée. La pluie en plaine est supportable ou alors habitué au pire... Je découvre la géographie, les chutes du Rhin, mais trouve insipide la rive suisse que j'emprunte. Au village m'attendent les inconditionnels et une fête que je partage avec un réel plaisir. Après 57 jours passés dans la nature, la douche est mon premier pas dans le monde du confort, de la facilité et des habitudes. Ce périple de 6300 km a dépassé mes espérances pour la richesse des rencontres, des amitiés, des contacts, des diversités... J'ai vécu collé à la route, et découvert un autre monde, mais c'est une autre histoire...

(fin)