Des plages de Bas-Evette à celles de Dakar
Persuadé de ne pouvoir mener à bien ce 8° projet jusqu'à son but, je l'ai intitulé "Plein Sud", ce qui me donnait de la marge. Ce voyage m'a mené depuis la porte du garage jusqu'aux plages de Dakar, soit 7400km en 97 jours. Les autoroutes Espagnoles et les soucis de santé ont occupé ma tête sur la section Européenne, les contacts avec la jeunesse, la chaleur quotidienne, l'eau, les moustiques, la longueur des étapes et la tempête de sable m'ont forgé un mental d'acier sur la partie Africaine, ce qui me permet de penser que ce périple fut de loin, le plus difficile de tous. Pour compléter le tableau, j'ajoute que paysages, villes, médinas, casbahs, pauvreté, gentillesse, sourires, fraternité me laisseront un souvenir impérissable d'un voyage différent sur un continent qui décoiffe. Aujourd'hui encore, je me pince pour croire à l'aboutissement de cette entreprise que je conseille à tous.
Dimanche 09 août
Après l'incontournable "Pot du Départ", nuit mouvementée, debout à 5h. Contre toute attente, je suis prêt à 9h. Un dernier verre pour la route, et hop
j'endosse ma peau de routard. Quelques courageux cyclistes m'accompagnent sur les premiers km. La température grimpe, la Haute-Saône ondule, Yaka ma nouvelle monture, me ravit, Nath ma grenouille
bronze. Tous ces apéritifs ont émoussé ma vigueur, je pédale sans grâce. Soudain mon dernier compagnon m'abandonne, j'opte pour une route secondaire qui jouxte la nouvelle ligne TGV. Sur un
profil sanglant, quelle débauche d'énergie. Épuisé, je dors à Rioz.
Lundi 10 Août
Si le soir sous la tente fût étouffant, la nuit a nécessité le duvet. Sur une route très en bosses, Nat ma grenouille est souriante ... les averses nous douchent à plusieurs reprises. Que de châteaux dans cette campagne tellement paysanne. Gy puis Gray ponctuent les heures qui s'égrainent. Sans bruit, la Franche Comté m'abandonne. A 10km de Dijon je pose la tente ... tardivement.
En guise de petit déjeuner, le col de la Fageole 1117m. Cet exercice matinal sera la mise en bouche d'une journée aux descentes vertigineuses mais aux montées sans qualificatifs !!! La route des Monts du Cantal est à éviter à vélo, du moins en randonnée. Après St Flour sa ville basse et sa ville haute et même très haute, arrêt à Chaudes-Aigues et sa source à 82° ! Un photographe m'invite à partager un instant de vie au café... Assoiffé, j'accepte, après avoir couru l'eau toute la journée, la voici qui vient à moi ... et en bouteille. Je clos en Aveyron sur les plateaux de l'Aubrac souvenir de Compostelle.
Lundi 17 août
Lundi 14 septembre
La route pour Lisboa se teinte d' anxiété avec la multiplication des voies non autorisées aux cycles. Je parviens cependant au centre de la capitale par
des routes torturées aux pourcentages bestiaux. L' office du Tourisme est d'une affligeante nullité, une agence de location pas de renseignement. Sur le plan, le camping est proche mais en
réalité son accès à vélo est aléatoire du fait d'un maillage complexe d'un grand nombre de voies rapides. Coincé sur l'autoroute, un bus me charge, une chaîne de solidarité s'établit entre
chauffeurs pour finalement me déposer après 2h de transport à l'adresse recherchée. Cette étreinte prolongée a durement éprouvé mon énergie, va falloir retaper la bête sur le plan mental
tant que physique.
Mardi 15 septembre
C'est décidé, je stationne ici 1 ou 2 jours selon le besoin avec des déplacements sans Yaka. Je dois apprendre cet imbroglio pour ne pas me fourvoyer
une seconde fois. Les transports en commun sont pratiques mais longs. Bordée par le Tage lui aussi énorme à cet endroit. la ville est un immense espace de découverte qui mêle selon les quartiers,
l'émotion de la patine populaire portugaise et la propreté standard du modèle Européen. A de grands coups de cœur succèdent des instants de résignation.
Mercredi 16 septembre
Après le centre hier, Belem et le Rio Tago aujourd'hui. Mon opinion se construit, Lisbonne est une vaste usine qui manie le monumental avec plus ou
moins de bonheur. c'est sur que globalement le package impressionne mais les espaces de rêve et de convivialité ne sont pas nombreux. Je ne retrouve pas la chaleur de Porto mais avec plus de 80
km de marche dans les rues, le plan de celles-ci est gravé dans la plante de mes pieds. Demain le vérifiera, je m'attaque à la pieuvre au guidon de Yaka.
Jeudi 17 septembre
Matinal, je plonge sur Belem à vélo, longe le fleuve encore endormi et pénètre à l'embarcadère, objectif atteint sans problème. Je contemple à loisir le
gigantisme du Tage à celui de Lisbonne. La traversée est si longue que la capitale disparait à jamais de mon horizon laissant place à un futur excitant. Signalisation défaillante, je quémande ma
direction à chaque carrefour. Le haut lieu de la journée tant par sa géographie que par ses images, sera Palmela, son château et son panoramique. Joyeuse coïncidence à Setubal où je retrouve 2
couples français à vélo. Je les quitte pour le ferry qui me dépose sur la presqu'île sauvage d'en face. Loin du monde, je baigne dans une solitude reposante. Je partage ma selle avec les dunes,
le sable, les pins et le soleil. Bien que tout proche, l'océan joue à cache-cache avec ma caméra. Je clos ce jeudi dans un calme oubli.
Vendredi 18 septembre
Ciel chaotique, Nath ne bronche pas, mauvais augure pour la pluie. Journée plein Sud balisée par Odemira... sans intérêt. Terrain très très vallonné
avec de fortes ascensions heureusement brèves mais suffisantes pour faire râler mon genoux. Rivage décevant, l'océan s'emploie à rester invisible. L'ampleur de mon projet n'étant pas compatible
avec ce travail de fourmis, je laisse à d'autres cette exploration littorale que j'imagine être un paradis pour vacanciers. J'en rencontre plusieurs à vélo, excellente solution. Spécificité
locale, j'aime les maisons blanches aux encadrements bleus. Mon intérêt décroit dans une Europe qui ronronne, il est temps qu'elle se termine. Bosses et pavés, j'en ai, je vous le confesse...
assez ! Si la curiosité s'installe, mon kilométrage étonne et mon but interpelle.
Samedi 19 septembre
Un écart pour m'éblouir à la Praia de Odeceixe. Quel spectacle ! A quelques mètres, une plage légale pour naturiste... je n'y crois pas... au Portugal !
Je batifole longuement sur des sentiers sauvages avant un retour sur route. Astrid, hollandaise habitant ici est une acharnée de la bicyclette, elle sera également le soleil de ma matinée.
Regonflé à bloc, je passe sans douleur l'importante bosse qui bouchait mes perspectives et déboule alors sur Lagos, station balnéaire située sur la façade Sud du Portugal. Un tour au pub pour le
WIFI, je m'extrais péniblement de la foule en ce Samedi et fuis au plus vite toute cette promiscuité éreintante et bruyante. Je note alors que le terrain n'est pas propice au camping
!
Dimanche 20 Septembre
Lundi 21 septembre
Cette nuit le matelas super, le voisin insupportable, il m'a aboyé plus de 2h. Sur la route, je goutte au raisin ... juteux, aux figues ... fondantes,
aux oranges ... mielleuses. Gavé, l'ennui me guette, la selle me tient éveillé. Petite diversion par Tavira et incroyable chance, j'y perçois l'âme du pays dans les pierres et le Fado chanté par
un guitariste sur son pont. Encore quelques km et le bac m'enlève à ce pays. Retour sur les terres d'Espagne. En délicatesse avec mon genou droit, une pause s'impose. Ce sera à proximité
d'Huelva. Il faut absolument que je prenne du repos ... farniente !
Mardi 22 septembre
Hier mon voisin fut un chien et cette nuit ... un tracteur. Travailler de 2 à 6, quelle idée ? Installé en lisière d'une pinède, le réveil brutal m'a
fait craindre un feu. Rassuré, je ne suis pas parvenu à me rendormir avec ce sulfureux vacarme. Bloqué par l'autoroute j'ai traversé les marécages par une sente de toute beauté. Huelva permet les
nourritures du corps, pas celles de l'esprit. Pour éviter l'autoroute, l'extraction n'est pas simple. Je fais route avec Diana et Babis, couple grec. Vent virulent et contraire sous un soleil sec
comme une pierre. Je laisse filer mes amis pour cause de douleur top intense. Demain sera fête... ou tombeau !
Mercredi 23 septembre
Le bruit du trafic a accompagné mes rêves. La périphérie de Sévilla me demande un plein d'énergie pour cause d'autoroute ... incontournable. Chercher un
hôtel, louer une chambre , prendre un bain, faire une lessive ... de noir je passe à crème ... un mieux, le rose bébé n'est plus très loin. Dans des rues éclaboussées de soleil au parfum de
corrida, le repos n'est pas envisageable, la fascination entretenue par la coloration des mélanges culturels. Haut lieu de la ville, le quartier juif est un chef d'œuvre qui m'enivre. Je tourne
et retourne, le désir m'épuise. Olé !! dit-il en boitant.
Jeudi 24 septembre
Pas encore sorti de la ville que police et autoroutes me guettent et assombrissent un avenir incertain. De Séville à Utrera, le jeu de cache-cache se
poursuit. Par 3 fois la police m'arrête, par 3 fois sans autre alternative elle me laisse repartir avec des conseils de prudence que je trouve particulièrement utiles, me conseille d'être prudent
! J'hésite à changer d'itinéraire mais Cadix... Je veux voir Cadix, allez savoir pourquoi. Les grands espaces me donnent de la vigueur mais au Pays du Flamenco, la rengaine routière m'insupporte,
plus jamais une roue dans ce pays.
Vendredi 25 septembre
Durant la nuit un abcès dentaire se déclare. Au long des heures la douleur se développe. Bagages faits, les soucis s'empilent, les dents s'accrochent.
Après 10 km, bing l'autoroute, le cauchemar reprend. Fort de mon expérience passée, je parviens à Jerez où l'on me confirme qu'il est impossible de rejoindre Cadiz à vélo. Face à tant de
contraintes, la lutte est inégale, la coupe pleine. Je gagne Cadix par train. La réalité du lieu est à 1000 lieues de sa notoriété et moi au bord du renoncement. Mais qu'en attendais-je ? Une
albergue bruyante m'héberge, l'Andalousie me prend la tête, la fuite du piège Cadix reste à élaborer, le genou grince, les dents geignent ... demain s'annonce tendu.
Samedi 26 septembre
A l'aube, les inondations menacent. Au bus, le chauffeur n'accepte pas Yaka. Seule solution, je prends un ticket pour Algeciras où je débarque sous des
trombes d'eau. Nath est aux anges plus qu'au diable. Côté genou, ça ne va pas fort, côté dentaire, ça ne va pas du tout. La mort à l'âme je me résigne à mettre fin à cette aventure. Ticket de
retour en main, le chauffeur du bus tout puissant refuse d'embarquer mon fidèle Yaka. Pourquoi alors m'avoir vendu ce billet ? Sans autre option. j'opère la gencive au couteau dans les toilettes
de l'auto-gare. Ce geste désespéré permet à l'aventure de se poursuivre mais ... pour combien de temps ? J'échange alors le bus contre la bateau et l'Europe contre l'Afrique que 12km
séparent. Le détroit de Gibraltar est un symbolique. Je débarque à Tanger, le dépaysement est brutal, je n'en suis pas encore remis. Crocs silencieux, genou bruyant, je découvre un autre mode de
vie, des habitudes différentes.
Dimanche 27 septembre
Journée maussade sur un paysage de montagne aride et sec. Après les clichés jaunis de Tanger, les 400000 âmes de Tetouan. Je loge à 2 pas du
Palais Royal et à 3 de l'énorme Médina grouillante qui m'impressionne puis m'engloutit, accompagné d'un faux guide aussi collant qu'un sparadrap. Massage chez l' herboriste, thé chez le vendeur
de tapis, n'ayant rien sollicité je quitte tout ce beau monde sans bourse délier. A voir ... la tête des comploteurs et celle du tendre agneau. Escroqué à Algéciras, je compte bien ne pas
renouveler l'expérience ... d'autres touristes sont disponibles ! Dans un enchevêtrement de passages et de ruelles, de faux-guides, d'artisans et de vendeurs, la puissance des images fascine,
tout comme la vie et les convulsions humaines. La médina ... ébahi je vous dis !
Lundi 28 Septembre
Sous le soleil levant la Casbah de Tetouan est un attirant symbole de ce pays. "Plein Sud", sur une route étroite, je suis parfois frôlé de fort près
par des véhicules surchargés. Le rif est une montagne pelée aux oueds rageurs qu'une pluie récente a gonflés. La boue rouge des torrents maquille paysans et hameaux. Cette harmonie est poignante
tout comme l'inertie des corps dans l'attente. Un col anonyme donne le pass à Chefchaouen adossé à 2 pics (d'où son nom). Logé dans la Médina inaccessible à vélo, la ville bleue est un
envoûtement où vendeurs de kif et écoliers en uniforme peaufinent le tableau. Mon enthousiasme est à son comble.
Mardi 29 Septembre
Le gardien dort dans l'entrée et la Médina dans un silence coupable. En ville, l'animation s'ébranle, je déjeune sur le trottoir. Le rif est montagneux,
ses routes infatigables. A 13h, j'aborde Ouezzane. Seul touriste, je suis également la seule proie (courtisée à l'excès). Je découvre alors un Maroc authentique au peuple d'une humanité
chaleureuse. Même sans Yaka, impossible de passer inaperçu mais quel accueil. Faute de travail, les amitiés se pressent, la pauvreté me gifle, le sommeil me retape.
Mercredi 30 Septembre
L'étape est longue, le départ matinal, les échoppes fermées et pourtant je revois la lenteur séculaire des gestes. Le pays se paupérise, de ce Rif
surpeuplé affluent de partout des ânes bâtés, des femmes chargées, des taxis en surcharge, des bus bondés, des tracteurs attelés couverts de passagers. La raison m'apparaît, arrêt au souk d'
Ain-Defali. 9h, au sommet d'une côte, 2 individus surgissent, armés de couteaux. Quelques minutes de bagarre, ils fuient avec 2 sacoches dont celle des papiers. Je les poursuis à travers champs
mais les perds au hameau. Dégoutté, le voyage est terminé. Sur le retour je récupère une de mes valises et suis hélé par la police déjà sur les lieux ! De retour sur la route, Yaka est gardé par
un gendarme ... Incompréhensible, la sacoche manquante est fixée au guidon !! Manque les liquidités. Une longue attente commence sur le bord de la route où un repas m'est servi, puis dans les
locaux de la gendarmerie de Jorf-el-Melha pour y déposer ma plainte (obligatoire). A 17h je suis transporté à Volubilis pour y dormir sans danger.
Jeudi 1 octobre
Si la nuit porte conseil, la journée apporte fatigue. Je délaisse Yaka pour la marche. Visite de Volubilis, plus grand site romain du Maroc aux
mosaïques troublantes. Après midi consacré à Moulay-Idriss, (fondateur de Fès), LA ville sainte du pays souvent nommée La-Mecque du pauvre. Au contact d'une population amicale et curieuse, mon
amertume se dissipe, ma déception se craquelle. Dans les chants de la fête annuelle, je décide de poursuivre l'aventure. La tête est soignée.
Vendredi 2 octobre
Départ matinal car mendicité et notoriété me dérangent. Sans explication rationnelle sur le retour miraculeux de ma sacoche, je me concentre sur le
pédalage ... Etape brève mais dense, les pentes étant d'une raideur que mon genou redoute. Meknès, ville impériale guidé par un cycliste marocain, je m' installe aux portes de la Médina, mon lieu
de prédilection. Passionné par une ville majeure de ce royaume, les révélations se superposent. Trésor de rêve et d'histoire, je claudique dans une Médina aux échoppes closes le Vendredi. A la
tombée de la nuit, les rues de la ville comme par enchantement explosent de vie et d'animation. Extraordinaire !
Samedi 3 octobre
Deux repas hier m'ont retapé. 70 km montagneux aujourd'hui m'ont redonné le goût de l'effort. A khémisset, le motel est charmant mais à utiliser avec
précaution : volets out, fenêtre idem, porte branlante, ressorts en fête, lavabo cassé, robinet aussi ... ce qui donne un aspect désuet à mon nid. Dehors la ville est d'importance contrairement à
son intérêt. Pleureurs et quêteurs agrippés à mes basques je regagne mon palace, persuadé qu'en cet instant, s'il le sait, le Roi m'envie.
Dimanche 4 octobre
Je quitte Khémisset sans trop de regrets. Une douleur rénale tenace me contrarie, la cause en est le matelas qui a imprimé son empreinte, plus de peur
que de mal donc. En pays Zemmour, un cycliste me vole mon bâton de marche alors que je roule. Drôle de pays, le calumet de la paix n'est pas encore allumé. Rabat, ville impériale mais également
capitale. La circulation crée des embouteillages, phénomène rare dans ce pays. Je prends une chambre proche de la vieille-ville car je suis ici pour 2 à 3 jours afin d'obtenir mon visa, jours de
garnison à partager avec une armée de cafards. En fin de journée, je me fonds dans le souk et la partie non commerçante de la Médina, véritable Cour des Miracles
Lundi 5 et mardi 6 octobre
Le Souk est très touristique, les mutilés s'exposent pour en tirer maigre bénéfice mais la Casbah éclatante écrase tout le reste. Dominant l'estuaire du
Bouregreg, la Casbah des Oudaïas est un site superbe aux ruelles colorées. Cette citadelle étant très touristique mon plaisir est un peu émoussé. Au Palais royal, l'entrée est interdite aux
manants de mon espèce. Au Parc, il faut laisser son passeport aux gardes, le mien est à l'ambassade de Mauritanie. A la tour Hassan, Yaka est interdit d'entrée et doit-être stationné à 50 m de
celle-ci. L'explication tarde. Dans les brumes, l'Océan est voilé comme tant de femmes dans ce pays. Si mon agression ne surprend ni l'ambassade ni le consulat, j'affirme que ces officines ne
sont d'aucun secours pour le voyageur que je suis. La ville n'ayant plus de secret et le visa en poche, je peux prendre la poudre d'escampette.
Mercredi 7 octobre
A 7 heures, je me précipite sur l'océan. Le rivage est à l'image du Maroc, beau dans la globalité, sale dans le détail. Les plages dépotoirs n'incitent
pas au bain. Un fort vent de 3/4 avant ralentit mon allure. A Casablanca où vivent 4 millions d' âmes, Je n'ose pas le pied dans les quartiers ghettos abrités derrière de hauts murs, alors ne
parlons pas de photographies ! A l'hôtel je rencontre Laurent lui aussi Belfortain. Je chausse mes bottes de 7 lieues et hop, le Syndicat d' Initiative aussi triste qu'un mouroir, hop la mosquée
Hassan 2 (la plus grande du Maghreb), hop le bord de mer et son port, hop l'ancienne médina débordante de vie. Une journée bien ordinaire !
Jeudi 8 octobre
Étape courte et peu motivante qui me dépose à Setta, ville importante par sa population, lénifiante par son contenu. Je reste dubitatif face à tous ces
porteurs de vestes, de pulls en laine, d'anoraks et autres blousons fourrés alors que le thermomètre annonce à 11h ... 36° !! Dans les scènes quotidiennes la photo indispose, souvent même elle
irrite et lorsque l'on m'interpelle c'est toujours "Combien y coûte ton vélo" et souvent "T'as quel âge", questions réductrices et peu incitatrices au dialogue. Après 8 semaines de voyage et 4000
km de route, yaka est au top, Nath souriante ... sacrée nana !!
Vendredi 9 octobre
Dès la tombée de la nuit, j'ai arpenté le dédale des allées du souk qui prend vie tardivement, afin de jouir de cette extraordinaire animation qui donne
à la cité une coloration différente. Par 2 fois j'ai conversé avec grand bonheur sur le passé, le présent et le devenir du Maroc et de ses habitants. Levé à 5h, je crois mes économies volées, je
réveille la maisonnée avant de me rendre compte de ma bévue. Faudra peut-être éviter les réveils trop matinaux ! Je roule à bonne allure et soudain, un panorama fabuleux m'apparaît, la
matérialisation d'un imaginaire construit par mes lectures. Le voici ce pays que je cherche ! Des dunes rouges et ocres, un ciel azur, des djellabas multicolores qui hantent ces solitudes ...
j'en oublie mes vicissitudes. Étape fort longue pour enfin atteindre la palmeraie qui annonce Marrakech, ville impériale.
Samedi 10 octobre
Chambre sans fenêtre extérieure, ma journée de pause se vivra dans les rues. De jour comme de nuit la Place Jemaa-el-Fna est inondée de touristes
principalement français. La Médina ouverte aux 2 roues est bruyante, dangereuse, en un mot infernale. Tout ici est à vendre sauf l'authenticité ... défunte. Le Maroc a disparu, reste des clichés.
Mosquées, Palais et enceinte occupent mon après-midi. Usé par ma journée de marche, je réintègre l'usine à touristes et ses multiples spectacles dont les typiques charmeurs de serpents
musicalement pénibles. Un seul véritable regret, malgré sa proximité, atmosphère et pollution me cache le Haut-Atlas.
Dimanche 11 octobre
Etape consistante ... en km du moins. Près de 200 bornes plein Ouest au côté d'un Atlas à peine visible. Dans ces contrées désertiques les points d'eau
sont rares, l'électricité absente. Les 2 villages effleurés sont glauques, presque hostiles, la jeunesse désœuvrée et rebelle n'étant pas étrangère à cette sensation. Pour l'amélioration du
contact... va falloir patienter et pourtant ... Confronté à la misère et au néant des espoirs, témoin du travail de titan à engager, tant d'inactivité me pèse. Camping pour nettoyer la tête et
changer les idées.
Lundi 12 octobre
30km pour rejoindre Essaouira, ville étape et jour de repos au bord des eaux. Des embruns coriaces plongent plage, port et médina dans une ambiance
ouatée. L'agitation du port orchestrée par les pêcheurs se marie agréablement à celle des rues et ruelles rythmée par des flots de touristes dont la présence rassurante annihile mes défenses
animales. Aucune sensation de grouillement, de fourmillement même si la Casbah m'est vivement déconseillée dés la tombée du jour. Je n'en garde que quelques images furtives, un œil sur la
pendule, l'autre vigilant.
Mardi 13 octobre
Départ 6h, grosse journée en perspective. Elle le sera bien davantage avec vent dans le groin et escalades en série (ultimes convulsions d'un Haut Atlas
finissant). Je me plais à m'émerveiller de l'ocre rouge des terres, du bleu du ciel, du blanc élatant de l'écume des vagues qui bat inlassablement le sable gris. Je clos l'étape par 60 km de
plages qui font le bonheur d'Agadir. Le séisme de 1960 a fait 15000 victimes. Totalement rasée puis ensuite reconstruite dans l'urgence, la ville est sans intérêt et ma nuit sans secousse. Ouf
!!
Mercredi 14 octobre
Noyé par la brume Yaka m' emporte vers le 5000° km. Route d'un ennui exceptionnel, je n'en retient que la rencontre d'un couple hollandais en tandem.
Tiznit me sort de ma torpeur. Je contourne ses longs murs d'enceinte pour pénétrer tel César, par la porte principale qui ouvre sur la grand'place spacieuse mais encombrée de véhicules. Après
douche et lessive, je me lance à la conquête du trophée. Cité réputée pour ses bijoux berbères, les artisans ont disparu, les bijouteries se sont multipliées !! Le souk est un trésor de vie
où se tapit dans l'ombre, l'odeur des épices. Moins bucoliques sont les nombreux téléphones portables.
Jeudi 15 octobre
Vraiment top l'hôtel des touristes ! Je choisis l'itinéraire côtier par Aglou. Seul sur la plage, je n'en fais pas usage car lentement la brume envahit
mon paysage. Des km de sable blond prennent l'eau sans qu'aucun humain n'en jouisse. A proximité de Mirleft les rochers affleurent, formant une dentelle. Il est trop tôt pour me poser et le
village manque d'attrait. Bans de brume et soleil composent de mouvants tableaux surréalistes interrompus par une seconde crevaison. Mes pneus, des Conti, sont une première, ils ne feront pas de
seconde. L'hôtel Belle-vue à Sidi-Ifni est magnifique. 8 Euros la chambre, à ce tarif, la poule aux œufs d'or va les pondre en bois ! Dès lors la chasse aux pneus est ouverte dans une cité aux
accents espagnols et depuis peu marocaine (1969)
Vendredi 16 octobre
J' abandonne mon palace pour la selle de Yaka et la brume que semble apprécier Nath. Courte étape dans l'Anti-Atlas mais fort musclée. Les images
collectées sont splendides dans ce four où je serai cuit pour midi. Guelmime est un ancien comptoir qui a conservé sa fonction relationnelle. En fait cette ville fût longtemps le terminal des
caravanes qui sillonnaient le désert mais aujourd'hui les convois sont remplacés par des 4x4 et ce lieu a perdu son aura. Cette cité reste cependant la porte du désert marocain et de ce fait, un
parc de tous les vieux Range Rover de la terre. Hommes comme femmes portent la djellaba et le voile couvre de nombreux visages.
Samedi 17 octobre
6h, je m' extrais discrètement de ma chambre-cellule (les conditions se dégradent). 70km de crachin me masquent le seuil du désert ... ma
déception est perceptible. 70 autres km me procurent un nouveau désenchantement nommé Tan Tan, sorte de coquille vide et déprimante. Je pousse encore 20km pour dormir à El Ouassia. Ce final
terriblement venté est redoutable, j'y laisse mes dernières forces. Un lit sera le bienvenu. Les pieds dans l'eau une usine crache d'énormes volutes de fumée odorante puis voici l'étonnante cité
de Tan Tan-Plage qui devrait être une station balnéaire vu sa situation mais qui n'est qu'une ville dispersée posée au bord de l'Océan. Aucune mise en valeur, une plage couverte de détritus ...
pas vraiment avenant tout cela et malgré je trouve du charme à ces lieux.
Dimanche 18 octobre
Voici 10 semaines que Yaka me supporte et presque autant que Nath fait sa mauvaise tête. La falaise rongée par l'océan fabrique de proéminents
surplombs. En contre-bas, la côte inaccessible est totalement sauvage que seuls quelques pêcheurs arpentent. Leurs cabanons en toile ou en pierre au confort sommaire sont sidérants et
parfaitement intégrés au paysage. En l'absence d'eau et d' électricité, l'ascétisme de ces hommes me bluffe. A ma gauche, le désert en plan fixe ne m'apporte guère de distractions. Depuis Tan
Tan, la fréquence des contrôles de gendarmerie est démoniaque et probablement inutile. Après 100 km, refuge dans un riad à Akfénir, petit village de pêcheurs. La plage est encombrée de gravas et
bien sûr ... de détritus.
Lundi 19 Octobre
En pleine nuit, tentative d'insertion dans mon Riad, la porte verrouillée résiste, mon cœur ... également, mais quelle frayeur et je me demande encore
qui était ces hommes, que faisaient-ils, que voulaient-ils. Au petit jour, encore ébranlé par l'événement, la route m'appartient totalement, ce qui n'est pas pour autant rassurant. Peu à peu le
sable prend du volume et le spectacle du poids. Enthousiasmé par les dunes modelées par les vents, je note soudain la présence en toute liberté de 13 chameaux peu bavards. Je me délecte
longuement de ce face à faces inopiné. Si le désert me lasse, la fulgurance de certaines images m'éblouit. Au loin, Tarfala, fiancée de St Exupéry, émerge des sables. Face aux Iles Canaries,
cette escale de l' aéropostale sera également la mienne. L'ensablement de la ville m'impressionne plus que son pauvre musée dédié à nos pionniers aviateurs. La magie du lieu est intacte,
l'humanité à la taille de son isolement, l' hébergement rustique.
Mardi 20 Octobre
Plaisir des yeux mais aussi du ventre, la confiture liquide turque est un délice. Sur une route calme, je me surprends à siffler ... audacieuse
insouciance ! Je laisse le village-hameau de Tah pour le Sahara Occidental ancien Rio del Oro de l'ère coloniale. Sur plus de 100 km, soleil, vent et contrôles de police sont implacables.
Rarement étape fut plus insipide. Laayoune ville de garnison nationale et internationale . La capitale du Sahara Occidental, aujourd'hui province du Maroc, est en pleine expansion. Sa démographie
galopante est fiscalement encouragée par le protecteur Maroc. Demain je laisse Yaka au garage.
Mercredi 21 Octobre
Une journée de marche me permet d'appréhender la ville et de confirmer l'impression initiale : pas d'intérêt particulier. La rupture d'activité me
revitalise, l'update logistique me libère des neurones. Ma seule inquiétude concerne le vent qui chaque jour prend prend des forces. Dans mes mains moites baigne St Christophe ... petit je suis,
chaque jour me le rappelle.
Jeudi 22 octobre
Des fourmis dans les jambes, l' inactivité me démange. Sur les 30 premiers km, de jolies dunes voluptueuses me laissent espérer un désert moins
soporifique ... il n'en sera rien, pierres et sable partageront mon univers 100km durant. Seul intermède à cette purge, le port de Laayoune où la gendarmerie garde port et passeport sans
interdire la mendicité. Cet emploi jeune est véritablement étendu à tout le royaume et sa constance me pèse. A midi, " LA " Station Service de Lamsid est un bon compromis entre "un peu" et
"rien". Rencontre de Bruno, français et cycliste randonneur avec qui je converse jusqu'à la nuit et l'ouverture de la salle de repos. Excellent plan et bonne tajine, faut dire que la faim s'est
invitée à notre table.
Vendredi 23 Octobre
Nuit du tonnerre et à l'aube, Bruno remonte contre le vent et moi ... cool la vie. Le ciel est tout enrhumé de nuages mais au sol, soporifique ce désert
! La banlieue de Boujdour est effrayante, je parle du quartier extérieur entouré de hauts murs, et la plage peu rassurante (jeunesse pénible). La ville n'a rien d'une station balnéaire et surtout
pas la sécurité tranquille. Pour le reste, des échoppes minuscules à faible rendement, des arrières salles bondées de joueurs de cartes, du foot en boucle à la télé suivi par des troupeaux
entiers, du thé sur des terrasse emplies, des trottoirs encombrés de mille choses, en somme un quotidien bien pâle sur fond d'Océan bleu. Et vous ne me croirai pas mais j'adore ce
lieu.
Samedi 24 octobre
Si la nuit fait la grasse matinée, moi pas ! Dès la sortie de Boujdour, force est d'admettre qu'Eole s'est pris les pieds dans le tapis et qu'il me fait
face. Dépité, je révise mes objectifs kilométriques à la baisse. Œil noir, lutte féroce, le casse-croûte est expédié, faut dire que le soleil m' assomme. Dans ces conditions, ma 3° crevaison
exaspère. J' intervertis les trains et monte un pneu " Made in China " à l'avant. Les rares automobilistes de passage me prennent en pitié. Le Sahara conserve sa solidarité et moi mon intégrité,
la situation n'étant pas désespérée. Ben-Yaka retrouve sa vigueur ... le vent tourne. Après 180 km, contrat rempli, une tajine m'attend à la Station Service de Lakraa pour fêter la chute du 6000
ième km ... une faible lueur dans un environnement bien sombre, car ce lieu ne dispose ni d'eau, ni d'électricité mais pas sans rampant de tous poils. J'avale mon assiettée en espérant n'avoir
oublié aucun vaccin. Je monte ma tente dans la nuit noire.
Dimanche 25 octobre
Lakra est ce qu'il y a de plus rudimentaire. Nous sommes une cinquantaine à camper sans compter les souris et autres bestioles. Après une toilette sans
eau, je salue mes collègues. Le relief anime le désert, la police le contrôle, je bifurque sur la presqu'île de Dakhla. Spectacle grandiose, vent titanesque, la zone dépressionnaire est à couper
le souffle. Je jette toute mes forces dans l'affrontement et après avoir douté, je passe. Une telle lutte laisse des traces, j' entre décomposé dans la cité vaincue. Après 2 journées bestiales,
je prends mon jour de RTT à Dakhla .
Lundi 26 octobre
Je retrouve non sans plaisir eau et électricité. A ma grande surprise vu la situation géographique et le nombre de pratiquants du skyte-Surfing, je suis
le seul indien du plateau. Ville importante, sa notoriété lui suffit, elle conserve son cachet provincial et culturel qui en font son charme.
Logé dans le centre commercial, j'ai plaisir à me noyer (non à me fondre) dans l'atmosphère vivante est chaleureuse des rues, amusé par les groupes de
femmes assises sur des nattes et buvant le thé dans toutes les boutiques. Journée consacrée à la maintenance, mes actions sont couronnées d'insuccès, le Sud implique de l'ingéniosité. Mes
multiples démarches me rapprochent d'adultes réservés et cordiaux (adorables) et d'une jeunesse éprouvante. Petits taxis : 1 Euro suffit à me rendre livide.
Mardi 27 octobre
Le retour sur la péninsule est sans commune mesure avec l'aller, la dépression étant inactive. A El Argoub, seul hameau de la journée, je récupère un
Anglais dans un bouge sombre de chez sombre devant une tajine. Il pédale vers le Cap pour assister à la Coupe du Monde. La fadeur du désert nous est indifférente, la Station Service Chacas perdue
dans les sables est trop rapidement atteinte alors que le compteur marque 150 km. Ma tajine mijote, nos projets diffèrent, Daven continue. " Good luck " mon ami. Nuit dans la mosquée, expérience
originale et unique (qui doit le rester). Nuit trop hachée pour être efficace.
Mercredi 28 octobre
Réveil glauque et poisseux, sans eau pour la toilette. Pour le déjeuner, feinté, la station est fermée. Les mains noire du cuisinier pompiste ont
probablement ajouté du carburant au repas d'hier. Des rochers sculptés par les années agrémentent mon pauvre univers. Jamais 160 km ne m'ont paru si longs. Ne pas pouvoir me soustraire au soleil
quelques minutes me rend fou, craindre les mines m'enseigne la prudence. Des pancartes rouillées et illisibles rappellent que sur 350 km, le danger des mines est présent, résidu de la
guerre entre le Maroc et le Front Polisario armé par l'Algérie. A la station de Barbas, unique oasis du jour, je renie la tajine pour un poulet qui me réconcilie avec l'existence.
Jeudi 29 octobre
La nuit dans la mosquée est effacée. Le désert rocailleux aux formes douces et arrondies est tentant mais je ne m'y aventure pas, les risques étant
encore présents. J'aurais bonne mine de sauter ici ! Sans autre occupation que celle de pédaler, j'empile les kilomètres avec rage ou résignation, selon mon humeur. Soudain des murs, des formes,
des voix ... c'est la frontière ! J'avale avec avidité une dernière tajine avant de me consacrer aux tracasseries administratives. Attroupements, animation, effervescence, que de monde, de files
d'attente. Ma qualité de cycliste me favorise ... prioritaire avant fermeture des bureaux. 5 km de no man's land impressionnant et impraticable. Zone de trafic en tous genres, je presse le
pas peu rassuré. Au poste Mauritanien, je suis également prioritaire , le vélo est un pass efficace. A peine sorti qu'une horde avide se jette sur moi pour échanger, vendre, acheter ...
Montrant quelques pauvres billets marocains, la fièvre tombe, je m'extrais en transe de ce lieu. Reprenant mes esprits je découvre un paysage superbe. Le fameux train de minerais coupe ma route,
le vent se lève ... rapidement je peine. Conditions extrêmes, l'eau manque, halte sous tente Berbère où le thé m'est offert.
Vendredi 30 octobre
Jamais nuit ne fut si bonne. N'ayant que peu d'argent, je remercie mes hôtes pour le repas et reprend la route. Le vent latéral forcit. A Boulanouar,
mon itinéraire plein Sud doit me rendre le vent favorable. Mauvaise pioche, non seulement il tourne avec moi mais son volume m'inquiète. Je provisionne 7 litres d'eau supplémentaires et défie la
nature. Elle se déchaîne, 50° au compteur, la boisson chaude est infecte, la soif démente, les yeux au supplice. La tempête se déchaîne, le sable mord, ma vitesse s'effondre, jeté à droite,
poussé à gauche, je me bat des heures durant avec pour seule énergie celle du désespoir. Enfin une station service dans cette apocalypse ... 12 heures pour 90 km ... Pas faim mais à boire
... à boire ... 4 litres ... je m'écroule comme une pierre sous la tente.
Samedi 31 octobre
Durant la nuit le vent se calme mais peu avant le lever du jour,il reprend vigueur. Mes yeux martyrs ne sont que douleur, force est de constater que je
ne suis plus en état d'affronter le parcours. C'est la mort dans l'âme que je rejoins Nouakchott en 4 roues. L'homme que je suis est bien petit face à dame nature qui m'a durement châtié. A la
capitale, un autre combat m'attend. Désargenté, Master Card et chèques de voyage sont refusés. Hébergé à l'auberge Menata, lieu de rendez-vous de tous les voyageurs, le cyclo-randonneur
Gérard m'offre son aide et ses Euros. Dès lors même si la vie n'est pas encore belle, au moins elle reprend. Un médecin consulte ma vue, son inquiétude est grande ... je file à la pharmacie, les
soins commencent.
Dimanche 01 novembre
L'inactivité totale donne à cette journée une longueur exceptionnelle. Les soins sont méticuleux. Pour Gérard, le Cap est encore loin, lui soigne sa
cuisse et moi mes yeux, l'auberge serait-elle un hôpital ? D'évidence, l'un comme l'autre ne sommes pas aptes à reprendre le service. Je mesure à quel point la punition a été sévère, la
convalescence sera longue. Je m' autorise une première promenade dans les rues ensablées de Nouakchott. J'en retire une impression étrange d'abandon, le centre est formé de grands espaces sales
sans aucun intérêt, une sorte de cœur fictif. Je rejoins ma tente posée sur le toit de Menata.
Lundi 02 novembre
Ma convalescence ophtalmologique est un boulet. Une nouvelle tentative de promenade dans le centre de la capitale confirme le triste spectacle. Le
marché est vivant mais pauvre à l'excès et peu sécurisant, ce qui interdit la photographie, mal vécue. Gérard envisage un trip dans l'Adrar, ce projet me séduit. Il nous occupe le reste de la
journée.
Mardi 03 novembre
Après les soins, le trek est bouclé. Départ en fin d'après-midi par le bus. 2 jours dans l'Adrar et retour durant la nuit. Faut dire que dans ce pays
les distances sont énormes. Je passe ma journée avec Stéphane, jeune alsacien qui remonte chez lui à vélo après 18 mois d'Afrique. Son VTT acheté au Cameroun est pourri. Son expérience est
intéressante, son trajet également. Pour lui, ici c'est l'Europe. Bigre ! Nous nous reverrons au retour, le départ à sonné. Le taxi, puis le bus bondé ... 450 km pour 10 Euros. Les arrêts se
succèdent tantôt pour les contrôle police, gendarmerie et douane, tantôt pour la prière. Nous débarquons à 23h à Atar, repas puis en route pour le bivouac à 2h du matin dans la montagne. Les
étoiles nous protègent, le sable nous accueille, les moustiques nous rejoignent ... mon dieu faites qu'il n'y aie pas d'autres amis.
Mercredi 04 et jeudi 05 novembre
Changement de programme, la piste prévue ayant été emportée par les crues. 2 jours d'éblouissements, de rencontres étonnantes, de couleurs propres au
désert, de sculptures montagneuses féeriques, de dromadaires gourmands, de sable vierge. Pistes défoncées, oueds pas encore secs, les habitants du désert nous offrent le lait de Camel en signe de
bienvenue. Après le campement dans les dunes, l'oasis de Tichrit est un conte irréel, le village d'Aghrigit complète ce rêve. Les nomades, leurs troupeaux et leur artisanat surgissent du
passé. La nuit tombe, planté dans les dunes, un second bivouac s'impose sur les bords d'un Oued encore vivant aux moustiques mauvais. Au matin, Chinguetti et ses manuscrits. Les sables
engloutissent la cité avec un appétit féroce. Le retour peut alors s'envisager, toutes ces images ont guéri mes yeux et empli ma tête. De longues heures de bus nous attendent. Un taxi pourri nous
dépose à Menata. Ce voyage dans le voyage est terminé. Mon incrédulité est à la dimension des révélations.
Vendredi 06 novembre
Réveil très tardif, l'auberge n'a plus d'attrait pour moi, mais une nouvelle fois désargenté, Gérard est à nouveau mis à contribution. Départ demain,
mes yeux sont choyés, mes paquetages préparés, Stéphane retrouvé. Un jeune allemand à vélo remontant de Côte d'Ivoire me confirme la validité de la MasterCard au Sénégal. Lentement je sens la
motivation me gagner.
Samedi 07 novembre
"Plein Sud" reprend. Dans les rues ensablées de Nouakchott, je pousse un vélo bien lourd, rouler étant impossible. Sous une chaleur épouvantable, trop
d'eau me ballonne. Peu à peu le désert perd sa vigueur, le vert s'enracine, les meutes d'enfants sangsues réapparaissent, l'autorité est à nouveau nécessaire. Malgré un paysage peu renouvelé,
l'ennui ne se fait pas sentir. Après 120 km jalonnés de hameaux, une animation du diable encombre la chaussée. J'interroge un homme bleu, je suis à Tiguent, terme de l'étape. Le spectacle vaut
son pesant d'étonnement. Camping dans la cour de l' hôtel Atlantique où le cérémonial du thé peut alors commencer. Dans mon esprit s' enfouissent les contours d'un pays qui s' éteint. Seul visage
pâle en ces lieux, j'avale goulûment une pâtée peu engageante dans la pénombre propice d'un restaurant "gourbi".
Dimanche 08 novembre
Réveillé sans douceur par un soleil imparable, Tiguent dort encore. Dunes et sable, ce sont 100 km de bosses sans compter celles des nombreux
dromadaires qui m'attendent. Une nouvelle crevaison ralentit mon allure mais décuple ma rage. Dans des hameaux tous identiques, des enfants me coursent et me crient " Mossieu, ça va " ou "Cadeau"
et souvent "Donne". Cette insistance me lasse. Voici Rosso, zone de non droit et capitale du moustique. Quel chantier ! Hébergé à la mission catholique, j'évite le pire mais cependant
quelle foire d'empoigne avec les racketteurs tant civils que de la police ou de la gendarmerie. Quelle corruption, ça promet pour demain.
Lundi 09 novembre
J' attaque mon 4° mois tous crocs dehors. Une énorme porte interdit l'accès au fleuve Sénégal, ultime frontière. Confronté à une escroquerie
généralisée, j'applique ma stratégie apprise hier. Pour éviter le racket, je mens avec un aplomb surprenant, quel acteur ! Je parviens au bac en ayant lâché 2 malheureux Euros. Seul européen les
escrocs me collent au corps. Séparé de mon passeport un instant, bakchich pour le récupérer. Je m'extrais de ce guêpier à midi, épuisé, vidé de toute énergie. Plus de 100 km restent à parcourir,
de l'argent à trouver, sachant que la nuit est noire à 19 heures. Toute ma rage et ma volonté se concentre sur les pédales, je roule. Contrat rempli, jambes molles, St Louis, ancienne capitale au
cœur des marais est imparablement époustouflante. Grouillante, vivante, je perds ici toutes mes références, tous mes repères, je me laisse conduire par le hasard. L'auberge des
"Grands hommes" est un excellent compromis super bien négocié. En zone palu, je clos avec application mon palace et ma journée.
Mardi 10 novembre
La moustiquaire bien que percée a été efficace, la malaria n'étant pas un mythe. Sur des rues engorgées de sable, la remise en selle est laborieuse. Je
pousse et porte Yaka, exercice malaisé et peu valorisant. Aux portes de St-Louis, un policier me menace d'une amende pour non port du casque ! J' hallucine et débite un mensonge honteux mais
efficace. J'ai perdu du temps, point d'argent. Cette anecdote au relent Mauritanien signe l'entrée en Afrique Noire où la jeunesse montre ses dents mais pour sourire, le contact peut alors
s'établir. Faux plats et vent contraire donnent à la brièveté de l'étape, de la tonicité. Le paysage manque de variété, la misère gagne en intensité. Louga est une ville d'importance formée de
quartiers aussi tristes et pauvres les uns que les autres, fascinant par l'atmosphère lourde qui s'en dégage. Une crevaison retarde mes ablutions, je m'installe chez l'habitant, une expérience
mémorable, avant de me répandre dans les rues. Je renonce aux photographies peu prisées des frères musulmans. Les chants de la mosquée perdent en guttural ce qu'ils gagnent en puissance …
vivement les cloches ! J'avale dans le noir complet, une pâtée infecte et indéfinissable sur la terrasse d'un "restau" ouverte aux rats et souris affamés.
Mercredi 11 novembre
Une grosse suée pour mener yaka au bitume. Autour de ma modeste personne, explosent des baobabs géants. Le premier est une surprise, le second ... une
révélation et peu à peu les autres se fondent dans la normalité. Sous une chaleur intenable que je suis seul à défier, je note tout un peuple assis ou allongé dans l'ombre d'une végétation qui
s'étoffe. Les hameaux, conservent une belle harmonie au long des km. De hauts murs en roseau ou un brique protègent les cases du plus pur style africain. L'entrée de ces espaces n'est donc pas
possible sans tresser des liens préalables avec la population qui elle s'étale sur les bords de la chaussée. Sur cet axe qui supporte tout le trafic de l'ouest africain, l'arrêt est
également synonyme de mendicité, ce qui je l'avoue n'est pas ma tasse de thé. Après 130 km de brousse profonde, la vie débridée de Thies n'est pas pour me déplaire. La confusion, le brouhaha, la
promiscuité, la multitude, l'allégresse forment un concert assourdissant pour fêter dignement mon anniversaire. Ce sera une bamboula d' enfer au poulet frites arrosé de bière Sénégalaise …
L'exotisme remplace la festivité mais ce 11 novembrer restera gravé à jamais par son incongruité climatique et géographique.
Jeudi 12 novembre
En panne d'électricité, le groupe électrogène est très très bruyant mais inefficace. Je boucle les valises dans le noir, enfile un T-shirt tout propre
et m'éloigne dans la pénombre et des rues totalement silencieuses. A présent la route est bordée d'habitations, une sorte d'interminable banlieue triste et morne. Soudain l'ATLANTIQUE surgit !
Arrêt pour savourer cet instant merveilleux, pour m'imbiber de tous ces sentiments qui m'assaillent. Ce lieu symbolise une victoire inespérée, une volonté mise à l'épreuve, un rude labeur. Une
grande douceur m'enveloppe, Yaka et Nath m'entourent, nous nous jetons alors dans le chaos des rues de DAKAR. Ce tour de la ville sera celui d'honneur qui prend fin Place de l'Indépendance.
Devant le manque d'attrait de la capitale, les 3 jours prévus sont réduits à 2, puis face à l'indigence architecturale, limités à 1. J'achète un billet d'avion pour Paris, ratisse le centre
ville, le port, les plages du Cap Vert et ses îles. Villas luxueuses dans le quartier français, statue monumentale face à l'océan et enfin le hall de l'aéroport à la nuit. La partie de catch va
pouvoir s'engager.
Vendredi 13 novembre
Casse-croûte tranquille, le calme avant la tempête. J'attaque la préparation du vélo. La clé achetée sur le souk ce matin ne permet pas de débloquer les
pédales. Je pars à la recherche d'un mécano ... l'heure file. De retour à l'aéroport, j'achète du carton et du scotch … les minutes défilent. Démonter, emballer le vélo, vider, empaqueter les
valises ... il est plus de minuit ! L'enregistrement refuse Yaka ... plus de liquide, mendier du carton, retrouver le scotch déjà revendu … en retard, je fonce à l'embarquement en portant le vélo
… trempé mais cette fois ça passe ! Les moustiques m'accompagnent, virulents et joyeux, mon départ les ravit.
4h, escale à Casablanca. Je suis lessivé. Envol pour Orly, ne connaissant pas cet aéroport avec un vélo, inquiétude latente. Oh ! Superbe panorama sur le détroit de Gibraltar. A l'aéroport, je récupère les valises puis le vélo peu abîmé. Un bus nous accepte. Détendu, je suis conduit gare Mont-parnasse. Je débarrasse Yaka de ses oripeaux,le remonte, vérifie transmission et sécurité. A vélo dans Paris … un bonheur juvénile, en culotte courte. Gare de l'Est, je rate le train pour 3 mn, ce sera une arrivée à 21h à Belfort. Je hisse Yaka dans son compartiment. A l'Est, il fait froid, l'équipe s'élance dans la nuit noire. Ce vendredi 13 ne m'aura pas été fatal. Derrière la porte du garage, une hutte glacée (déjà je regrette les chaleurs africaines) et un champagne au goût d'écurie… au propre comme au figuré.