2011 - Trans...USA


le projet

Itinéraire et points WIFI du projet
Itinéraire et points WIFI du projet

Après bien des hésitations, le Canada étant lui aussi bien tentant, je choisis la traversée des États Unis d'Amérique pour occuper ma saison "Aventure". La côte Pacifique me paraît incontournable et semble-t-il inoubliable. Les Parcs nationaux disséminés sur les différentes chaînes qui composent les Montagnes Rocheuses sont tentants, je retiens Yosemite, Death Valley, Grand Canyon et Monument Valley qui composeront l'ossature de mon itinéraire qui de ce fait m'ouvrira les portes de Las Vegas et de ses excès. Pour éviter les plaines nourricières et ennuyeuses du Middle West, longer le Golf du Mexique me semble être une bonne solution, ce qui me conduit sur Miami et donc la côte Atlantique, d'où la transversale. Un rapide coup d’œil au kilométrage me montre le gigantisme du pays, 90 jours ne sont pas suffisants, un visa est nécessaire. Je passe ici toutes les contraintes administratives consommatrices de temps, d'énergie et d'argent. Le choix des aéroports se fait en fonction des facilités d'accès à vélo, recherches fastidieuses mais enfin les vols A/R peuvent-être réservés et les exigences vélo traitées (encore un gros travail). Le pot du départ est comme un immense soulagement, les écueils restants seront traités au mieux. Reste à écrire les pages à venir et les découvertes à faire ... le nouveau monde est face à moi.

Vélo dans un carton, sacoches empaquetées, un ami me conduit à Bâle. Pas de difficulté majeure si ce n'est le passage du vélo dans les portes !! Un long transit à Heathrow (London) me permet de biser ma famille dans l'aéroport tout en sirotant une bière. Un vol très long me dépose en soirée à Vancouver, le décalage horaire fatigue ... je règle ma montre sur l'heure locale. Formalités d'entrée sur le continent Nord Américain à Vancouver Airport. Je récupère mes bagages ... Ouf ! Je remonte le vélo et les accessoires ... Dehors, il pleut et il fait nuit. Dans ces conditions et avec toutes les autoroutes, le train s'impose. Totalement perdu dans la ville, je vous passe les détails, voici qu'enfin un couple en voiture et armé d'un GPS me  conduit à l'hôtel. Il était temps, la réception ferme. Monter le vélo dans la cage d'escalier exigüe sera l’ultime effort avant un sommeil de brute ... sans rêve. Je suis Outre-atlantique et déjà quelle aventure ! Cela promet pour la suite !!

article 1 posté de Hoquiam

Samedi 21 mai
Le départ me semble si loin aujourd'hui ! L'épopée entre la porte du garage et celle de l'auberge de Vancouver a tenu ses promesses. L'énergie emmagasinée avant le départ a été mangée d'autant que les 27 heures de sur-activité et de stress n'ont pas plu à mon organisme. Le final de ce transfert infernal s’exécute de nuit et à vélo dans les rues humides d'une ville bien trop grande dans laquelle je peine à trouver mon petit lit ! Au lendemain du miracle aidé par un GPS de rencontre, la journée de repos est consacrée à l'achat des manquants et à la visite d'une ville que j'imaginais plus excitante ; en fait son charme est dans ses immeubles du front de mer. Ayant sillonné la ville en tous sens, j'y suis maintenant à l'aise dans les rues, agile dans la circulation, maître de la signalisation. Tout cet apprentissage est utile car demain commence véritablement le voyage et un second point chaud : la sortie de l'agglomération ... Je suis impatient mais surtout ... anxieux.
Les infrastructures riches en  bretelles, ponts, autoroutes génèrent des accès interdits, des passages délicats, des impossibilités graves. La tête travaille plus que les jambes, la bête est aux aguets, le risque constant. L'extraction dure des plombes et la tension reste maximale durant ce rodéo. Un livre suffirait à peine pour conter tous ces instants difficiles mais enfin je parviens à mes fins, la 17 enfin trouvée me mène au ferry. Bateau ivre, celui-ci vogue entre les îles sous un soleil canadien. Déposé à 30 km de Victoria, la course sur les îles de Vancouver ne manque pas de saveur, le bûcheron local étant sollicité avec ferveur. Ferry pour les US parti, je dors dans le parc de Victoria, le Canadien malin me garde encore une nuit.
Ma présence à l'embarquement est matinale, le premier ferry est à 10h30. Ce délai me permet de me fondre une dernière fois dans ce pays à forte composante multiraciale. Dans les rues, les totems côtoient une architecture que je n'espérais pas, l'avenir s'annonce prometteur. Passage en douane US sur le sol canadien, le ferry me happe et me berce durant 1h20. Me voici sur le sol US, dans l’État de Washington, à Port Angeles exactement, un tout petit bourg où je découvre l'Amérique en quelques clics. Émerveillé. Je m'élance sur les routes, pardon, SUR LA ROUTE ... Je ne reverrai plus un village de la journée. J'apprends la magie des grands espaces. Après une nuit dans les bois, je plonge dans le vert d'une végétation ardente. A ma gauche, l'Olympus Park semi-opaque est couronné de neige. Indiens et océan sont proches, je les entends respirer. Je coince enfin  le Pacific à Ruby Beach, un grand instant de recueillement, une réalité ordinaire mais nourrie de combien de rêves ? Seul hameau de la journée, Forks me charge les sacoches... et l'estomac. Un peu de bonheur précaire aussi, non ?
La conduite m'avait été précisée comme étant plus apaisée et moins excessive qu'en Europe. Il n'en est rien mais des routes larges et rectilignes minimisent les risques encourus. Nouvelle nuit en forêt dans une sorte de marécage ... heureusement l'absence de précipitations me maintient au sec. En ce matin joyeux, la route a gardé sa virulence montagneuse, je croise 2 hameaux déserts et délaisse 3 réserves indiennes pour entrer à Hoquiam puis dans sa librairie. Dehors le ciel est bleu et dedans ma compréhension de l'américain ... noire.

article 2 posté de Florence

Lundi 23 mai
L'air me donne des couleurs. Aberdeen jouxte Hoquiam, étonnante promiscuité alors que je n'ai vu aucun village sur des kilomètres ! Mon moral est au grand beau, je déborde de rêves et d'envies, une sorte de grand débarras intellectuel qui peut être rapproché de celui matériel, du cowboy de Washington qui vit dans le plus grand des bazars. Sous un ciel chargé de mille risques, une clairière m'offre le couchage, j'y consens.
La nuit me semble brève, j'ouvre les yeux sur une fine pluie qui me gomme toutes les apparences alentours tout en écrasant le champignon des températures, trop faibles pour se rebeller. Sur la route, le profil tourmenté trace péniblement sa voie à travers des murs de verdure exubérante. A Raymond, seul bourg de cette journée, la pluie enfle au point de me héler. Non en fait, c'est Raf, joyeux randonneur Belge au guidon d'un Koga, frère de sang de mon bon Yaka, tout ému par cette rencontre. Le périple de Raf n'est pas manchot et nos 2 heures communes me paraissent bien courtes malgré un froid de canard. Repas pris, nos directions nous séparent, ainsi va le chemin de la vie. La fin de journée s'avère coriace contrairement au couchage ... sur un lit de copeaux, dans une coupe.
Travailleuse durant mon sommeil, la pluie restera muette pour ce premier dimanche de routard. Les derniers miles de l’État de Washington défilent sous les roues ailées de Yaka. Après avoir pris connaissance de la découverte des lieux par les explorateurs Clark et Lewis, un interminable pont sur la rivière Columbia, où vivait jadis une tribu indienne, me dépose en Orégon. Immédiatement les différences éclatent, j'ai quitté mes bûcherons pour l'élevage et le tourisme. La rusticité laisse place à plus d'aisance, et l' uniformité à davantage de diversité. La Côte Pacifique est à présent ma compagne à qui je reproche des pentes trop félines. Je plante ma tente au milieu des genêts, en surplomb de l'Océan.
Une nuit assoiffée laisse place à un petit jour à la fraicheur accrue. Je file entre les plages et les forêts à la recherche d'un équilibre introuvable. A Tillamook, je pose pied à terre et me terre dans un cybercafe. Les secondes continuent de s'écouler.

Mercredi 25 mai
Dehors il fait beau mais frais et, comme chaque jour, mon déguisement fait recette dans cette station aussi inintéressante que toutes ses devancières (cad peu). Sur cette section le profil perd en velléité ce qu'il gagne en confort, je dresse mon logis dans un carré de hautes herbes souples.
Matinal, je sors la tète de la tente et... houps ! les 2 yeux argentés d'un serpent de la taille d'une vipère me fixent à moins de 20 cm ! La suite est plus conventionnelle avec les bourgs portuaires de Neskowin, Lincoln City, Newport et Waldport, tous aussi insipides les uns que les autres. L'architecture est épouvantable soit, mais le pire est,que tout soit construit dans la plus grande anarchie, sans le moindre esthétisme. Par bonheur, cette journée est marquée par de larges tranches de Pacifique indemne. Pour combien de temps ? Le peuple que je côtoie à chaque pause aussi brève soit-elle est aux antipodes de celui que j'imaginais, rien ne permet de faire le lien entre ces gens et l'énorme puissance économique qu'ils représentent. La campagne que je foule est bien loin des sables lunaires. Il est tard, pas d'endroit propice pour stationner, 21 USD le camping, je dors dans le bois...
A 21h, la tente crépite sous l'assaut de la pluie. La mer est inaudible, le sommeil m'emporte. Quel froid a Yachats pour le déjeuner ! Quel dommage pour le spectacle ... OCEANESQUE ... Le concert prend fin à Florence, le soleil réapparaît mais quelle matinée tourmentée !!!

article 3 posté de Leggett

Porte du local internet franchie, le soleil jaillit, alors qu'au fond d'une de mes sacoches ma tente trempée croupit. Paradoxe de la vie. La route serpente dans les dunes, je ne reverrai plus l'Océan ni la moindre habitation jusqu'au soir ou je choisis le sommet d'une colline boisée pour me poser.

Dans mon premier sommeil un bruit me réveille. Il est 22h. Je distingue par la moustiquaire, un homme à quelques mètres de moi. Après de longues minutes il s'éloigne, je le suis à la lumière de sa lampe. Une terrible averse survient alors qu'il est loin. Il revient alors vers ma tente, rôde alentours, inquiétant certes mais pas affolant car il est seul et depuis 30 minutes n'a pas provoqué le contact. Dans cette situation, alors qu'il pleut à verse, que faire d'autre que de reprendre mon sommeil là où je l'avais abandonné ? Au matin, soulagé de n'avoir pas eu à m'employer, je le découvre assis sous un arbre, trempé et glacé. Il m'aura donné une bien belle frayeur mais également bien mauvaise conscience de l'avoir abandonné de la sorte ! La pluie continue depuis la veille ne cessera pas de la journée. L'océan pourtant proche restera absent et de ce fait, le spectacle attendu a été reporté faute d'acteur mais, à cette heure, dans la tente qui geint sous les assauts conjugués du vent et des eaux, au chaud au plus profond de mon sac, je ne céderais ma place a personne. Peut-être que personne n'en voudrait ? De Reedsport à CoosBay, toutes les bourgades ont été affligeantes d’inexistence et c'est à 2 pas de Bandon que je suis à vous écrire, totalement introuvable sauf pour les intempéries.

La nuit ne fut pas reposante, une tempête terrible a sollicité dormeur et logis. Ce matin, un moindre mal, je lutte contre un vent terrible qui tente de m'interdire l'accès à ce SUD que je vise. L'Orégon manque de splendeur sur ce tronçon, mais dans mon projet il a un sens, donc je ne regretterai pas ce passage ingrat et difficile. Un petit arrêt à Port Orford où je cherche désespérément ... l'Océan. Finalement écrit en énorme sur la chaussée : OCEAN VIEW. Dès cet instant, les paysages concourent dans le grandiose. Je m'autorise même à nicher en surplomb de l'océan et de son infini avec en point d'orgue le coucher du soleil à Ophir.

Déjà Samedi et après plus de 1000km plein Sud, les trombes d'eau sur mon nid ont eu raison de son étanchéité. Au matin, mon sac de couchage est une serpillière et le tapis de sol, une baignoire. J'écope alors la demeure bien énervé par ce souci supplémentaire. Gold Beach puis Bropkings, je me précipite en Californie, état qualifié de riche. Je ressens rapidement un esprit plus citadin, le cowboy de l'Oregon manque de bonnes manières, disons qu'il est plus rustique que le californien. Avec une douce constance, le peuple se polit, le profil routier s'apaise et le vent que je n'avais connu que contraire, demande à me pousser. Sous le soleil et avec un Pacifique terriblement sauvage, la vie est belle mais soyons patient pour confirmer cet enthousiasme nouveau ! Je dors à Crescent City, au niveau de l'Océan... Et le Tsunami alors ... tu t'en moques ? Bigre. (Faut dire que la multiplicité des pancartes Tsunami est traumatisante)

J'ouvre un œil puis l'autre ... Toujours vivant, le ciel est plus pur que l'Océan. Moi qui aime pédaler en montagne, je suis servi avec les "Klamath Mountains" que 2 belles ascensions couronnent. Le bleu marin joue à cache-cache avec le vert sapin d'une forêt impénétrable, gérée par une administration centrale qui prône la régénérescence naturelle de cette ressource. Sur cette étape pourtant difficile, que de randonneurs et neuses US ! La Californie du Nord n'est peuplée que de quelques hameaux tels que Klamath, Orick, Trinidad et enfin Mc Kinleyville où je dors, agrippé à un ravin pentu au-dessus de la "One O One". Nota : bien que le soleil soit présent, jamais la température n'excède 17. C'est peu non pour des vacances à la mer ?

"Memorial Day", jour férié mais pas pour moi ! Départ 7h30 je suis d'équipe avec Yaka ... Le vent est de face, le ciel grave. La mer est absente, fâchée peut-être ? De cette journée monotone je retiendrai EUREKA et sa old city. Rien d'extraordinaire mais une ville avec un peu d'architecture, des trottoirs, un peu de vie ... quelle révélation et quelle débauche de curiosité ! D'une cité somme toute classique, mon appétit de villes est tel que je porte celle-ci aux nues, habitué que je ne suis pas encore, aux zones commerciales laides et impersonnelles qui forment le centre des bourgs. Vers 18h montage de la tente en urgence au coeur de la montagne, et ce, sous la pression d'une pluie agressive et virulente. Jamais je n'aurais imaginé cet itinéraire si imbibé d'eau.

Mardi déjà , dernier jour de Mai. Que d'eau ! Pas lâché de la nuit, pas de la journée non plus. Le moral s'en ressent. Privé d'Océan, je me grise de vert. Sur 100 km, les 2 seules bourgades rencontrées ne disposent pas du service internet, secteur où la Californie excelle, n'est-ce pas Berkeley ? Peu de rencontres égayent mes jeux alors que mon esprit fonctionne. Je peux dés à présent prétendre que, plus que l'obésité, c'est le laisser-aller général des individus qui me surprend, ils se vêtent comme ils vivent, disons comme des romanichels ... A Leggett, j'abandonne la 101 pour la Highway 1. Son profil guerrier saura je l'espère, préserver l'intégrité partielle de mes patins de freins. Dans une ascension des plus coriace et sans autre possibilité, je plante la tente dans une épingle, la circulation étant inexistante.

article 4 posté de San Francisco

Mercredi 01 Juin
L'histoire se répète, pluie et pentes assassines jusqu'à ce que l'Océan apparaisse ... tout simplement sublime. Le littoral avant Westport est indiqué comme étant le plus beau de la "West Coast", je ne peux encore en juger mais il est génial. A Westport je déjeune dans une micro grocery, face à un reportage scotchant. Je reprends Yaka avec plaisir et brusquement, dès la sortie du hameau, la route s'emporte, son insoumission est totale, son comportement fantasque, elle tangue, plonge, vire au gré de son humeur. C'est ainsi brinquebalé, je parviens à Fort Bragg, ville plaisante dans laquelle je passe le reste de ma journée. Enfin, presque ! Lorsque je reprends le guidon, mes qualités de grimpeur me semblent bien émoussées. Le plaisir ne saurait se satisfaire de la seule souffrance, aussi dés le premier sous-bois rencontré, je m'y installe et au bruit des vagues qui se brisent sur les rochers, une variante d'itinéraire coure dans ma tête.

Jeudi 02 Juin
Après l'ondée matinale, il faut se rendre à l'évidence, la route du n°1 n'a rien perdu de sa virulence. Les jolis clichés sont arrachés à l'énergie. Albion, Point Arena, Anchor Bay ou enfin Gualala ne comptent jamais plus de 400 âmes mais je trouve dans ce peu, beaucoup de bonheur. J'établis mon refuge sous une haie d'eucalyptus merveilleusement odorants. De mes réflexions solidaires il me reste la satisfaction d'avoir survécu à la conduite assassine des locaux. Après analyse, je décide de prendre en charge ce projet qui depuis le départ me domine afin de ne plus subir les événements mais de les contrôler. Entre dominant et dominé, l'écart est dans le délai qui rend les situations défavorables... indigestes. Le sommeil m'emporte.

Vendredi 03 Juin
Réveillé par le froid malgré la polaire, les conditions générales sont cependant excellentes pour le vélo. Le paysage est un composé de prairies bordées d'Océan. J'utilise avec parcimonie mes freins, les patins magura ne doivent pas être très en vogue ici. Une " Grocerie " exploite ma faim et change le déroulement du jeu : la route s'anime, la pluie accoure. A plusieurs reprises dans les grosses descentes consommatrices de patins, je choisis la marche pour en contrarier l'usure. Tout va de mal en pis jusqu'à Bodega Bay où je demande à être hébergé ... dans un local prévu à cet effet. C'est non ! A l'office du tourisme enfin du positif, on me conseille un itinéraire d'entrée à San Francisco ainsi que la carte de la ville. Je suis aux anges même s'il me faut faire 30km pour installer ma tente dans des conditions très moyennes. Alors que je vous écris, la pluie fait preuve d'une constance acharnée.

Samedi 04 Juin
Pluie et vent par paquets, je suis réveillé par l'humidité. J'écope au plus vite puis recherche la raison à ces fuites. Le traitement passe par l'achat d'un spray imperméabilisant. Dans ces conditions aquatiques, reprendre Yaka implique une grosse dose de volonté et un sacré coup de pied dans les fesses. Il faut également vouloir son but plus que son bien-être. Je quitte le front de mer à Olema pour permettre à mes freins de se reposer. La fin de journée à Fairfax est un véritable labyrinthe. Guidé par une chance incroyable et répétitive, celle-ci m'offre même une sorte de nid d'aigle sur lequel je bâtis le mien. Installé dans un quartier résidentiel, personne ne se doute de ma présence. Éreinté, je souris en écoutant mes insouciants voisins. Demain est à craindre mais incontournable ... la conquête de San Francisco avec les dents s'il le faut.

Dimanche 05 et Lundi 06 Juin
Départ matinal, le stress n'est pas l'ami du sommeil et ce dimanche n'est pas ordinaire. L'accès  au Golden Gate Bridge s'effectue dans une débauche d'énergie. Le pont mythique, emblème de San Francisco est enfin là, grâce une contribution américaine pour le portage de Yaka. Un premier pas ... important. Le Pont est gigantesque, la ville impressionnante, mon cœur cogne fort. A présent haro sur un hôtel mais auparavant sur le "Tourism info" situé sur le port. Trouver cette officine avale 2 heures d'un temps précieux. Adresses en poche, ce second pas me détend. L'agglomération annoncée comme petite me semble énorme et l'Américain citadin diffère de celui des campagnes au point qu'il me semble étranger. Énergie renouvelée, haro sur le centre de la cité où sont concentrés mes bons plans. Attentif aux lieux et à la circulation, apeuré par l'inconnu et la diversité, ébahi par les rues en pente, les perspectives spectaculaires, l'affluence extraordinaire sur les trottoirs, j'avance avec précaution vers le BackPacker Hostel situé à 100m de l'historique Union Square. Une place est disponible, il est 15h, je respire enfin librement. A 16h je visite le monstre à vélo. Mon quartier est celui des galeries, cela tombe bien puisque l'art est pour moi source d'émerveillement. Sur l'Union Square, un orchestre joue diverses musiques entraînant par ses airs des dizaines de danseurs. Les magasins de luxe gangrènent le quartier suivant. Tout étant ouvert les rues grouillent mais ce n'est rien par rapport à Chinatown, unique par son  homogénéité raciale et linguistique. Je file sur le quartier italien plutôt reposant avant de descendre sur le port gavé de touristes et d'Otaries bruyantes. En fin de journée, la partie Nord-Ouest de SF est une annexe à mon château, j'y suis chez moi et y circule décontracté. Que de progrès !

Je consacre Lundi à la logistique avant de parcourir d'autres quartiers et de revenir longuement sur ceux de la veille, les plus hauts en couleur. Certains secteurs étant à proscrire, j'évite de m'y aventurer mais par la même occasion me prive d'images que j'aurais aimé emporter. La misère rencontrée et pentes gravies sont aussi insupportables et fatigantes l'une que l'autre. Bien usé par mes différentes circonvolutions aléatoires, je suis affuté pour demain et la reprise du périple. Que de kilomètres parcourus dans cette enceinte !

article 5 posté de Paso Robles

Mardi 7Juin
A 8h le soleil perce les brumes alors que les collines ardentes et pentues de SF tentent de me retenir. Me dirigeant plus Sud depuis mon hôtel, 20km s'affichent au compteur avant que l'océan ne me rejoigne. A partir de cet instant mon univers s'illumine et le littoral se déroule avec application. Attendu, le point de jonction avec la HW1 est source d'interrogation ... son accès est interdit aux pédaleurs et les indications totalement absentes. Belle galère de 15km pour contourner cet abcès. A peine remis sur les bons rails, chaude empoignade avec une circulation féroce sur 2 pauvres petites voies suivie par une sévère escalade de bienvenue. Toute la ballade ne sera pas de ce niveau, j'éprouve même beaucoup de plaisir à " Half Moon Bay ". Les perspectives sur le Pacifique me fascinent toujours autant. Ce mardi laborieux sur sa première partie reste imprégné d'un bonheur subtil. Nuit à 20m du rivage à proximité de Pescadero où le soleil couchant jette ses derniers feux sur mon château réintégré.

Mercredi 8 Juin
Baigné par d'épaisses brumes marines, je file léger pour déjeuner. Tout va trop bien, arrivé à Santa Cruz voici qu'après 50 essais infructueux, je trouve des patins vélo adaptés à Yaka. J'achète tout le stock le l'Ouest américain et continue ma route sur 500m. Bing, la 1 devient Freeway et donc interdite. J'annule la pause programmée et change mon bob contre des plumes car à présent voir falloir trouver la piste. Pas une indication, pas un signe, un véritable travail d'indien. Le combat me prend l'après midi et sitôt reconquise, la 1 m'est à nouveau retirée. Ecoeuré par tant d'injustice, je plante la tente dans un sol meuble sous un vent très violent. Croisons les doigts pour que demain la tente soit toujours ma compagne. Dans le confort de celle-ci, je reconnais avoir eu de la chance et du flair aujourd'hui car les indications furent minimales ... CAP d'indien réussi !

Jeudi 9 Juin
6h, réveil hâtif sous la pression des gardes de la propriété privée devant laquelle je suis stationné.  La piste longe la Freeway, elle est agréable malgré la brume collante. A Monterey, la baie mérite d'être parcourue, idem pour le Cap mais 35km de détour sont un lourd tribut. La côte ne manque pas de saveur et à Carmel, le délice est total. A 13h, je retrouve la HW1 qui fait mine de ne m'avoir jamais quitté. J'ignore l'impertinente car à présent, à moi Big Sur, objectif avoué. 2 superbes ascensions bordées d'images somptueuses tant sur l'océan que sur la montagne me déposent dans un petit sanctuaire mignon à croquer, Big Sur ! Une nouvelle montée se profile, usé jusqu'à la corde, je dépose les armes dans une clairière... juste à ma taille, enfin à celle de ma compagne, ma tente.

Vendredi 10 Juin
Départ sans contrainte, c'est moins stressant qu'avec les invectives des surveillants. En prenant de l'altitude le soleil apparaît, je déjeune au hameau Center de BigSur (au moins 3 maisons) puis le col qui permet la plongée sur l'Océan. Rapidement je baigne dans une brume à couper au couteau. Une bonne nouvelle cependant, la HW1 coupée depuis 1 mois pour cause de glissement de terrain ré-ouvre ce matin. La chance je vous dis ! Le temps s'installe comme radieux mais frais, je siffle à n'en plus pouvoir, le bonheur est parfois si fort qu'il faut une soupape par sécurité. Côté rivage, les images rivalisent de beauté et malgré la continuité de celles-ci, je ne parviens pas à m'en lasser. Une dernière difficulté ascensionnelle consomme mes dernières forces avant une fin de journée majestueuse avec vent arrière sur cette West Coast que demain j'abandonne. Je dors à 6km de Cambria dans des conditions pour le moins précaires, tous les espaces étant interdits aux personnes de mon espèce. Palace monté, bercé par un Océan déchaîné, ma pensée va à ma fille présente à Los Angeles (~250 miles). J'effeuille ensuite tous mes silences : 2300km parcourus, tous les copains à vélo que je perdrai demain, tous ces vacanciers qui me harcèlent, toutes ces solitudes qui me tannent, le cœur de cet océan qui fait battre le mien, les amitiés nouées, les rencontres brèves et chaleureuses, les sourires radieux, les jours qui passent, les soucis qui me hantent ... Tout ce que je n'ai pas eu le temps d'évoquer, mes lignes étant dévolues à une actualité dévorante.

Samedi 11 Juin
Voici 4 semaines de passées. Tente trempée par la brume, mon horizon est bouché. La petite bourgade de Cambria est une agréable pause déjeuner, une sacrée bonne surprise. C'est donc ici que je troque côte contre montagne. Immédiatement, un premier col à 1700 ft se présente, il sera avalé sans hâte comme le lever du soleil. Je plonge dans la vallée suivante avec appétit. Une vieille connaissance, la One O One m'est ici interdite mais j'accède sans difficulté à Paso Robles, une ville de laquelle je vous écris et dans laquelle j'achète une nouvelle paire de sandales, mes officielles étant en fin de vie et même plus. Il faut également faire des provisions car sur ma carte, les villages à venir ne sont pas nombreux et il faut bien manger et boire non ?

article 6 posté de Bakersfield

Samedi 11 Juin (Suite)
L'esprit libre et ouvert, force est de constater que Paso Robles manque affreusement d'intérêt si l'on excepte son immense vignoble et ses commodités. Les villes américaines sont source d'énormes déceptions qui affectent conscient et subconscient. Je m'étais préparé à une pauvreté architecturale mais pas à pareil désastre. La route 46 me sort prestement d'un centre inexistant et donc sans sans âme. En cours d'élargissement, cet axe est une horreur, sacrifié sur l'autel du " Tout pour la route ". Les dimensions de ce chantier m'obligent à monter la tente dans ce monstrueux capharnaüm. Par chance demain est dimanche, je ne serai pas réveillé par les hommes et leurs machines.

 

Dimanche 12 Juin
Nuit aussi moche que le décor, l'environnement influe sur les rêves. Les nuages filent à l'Ouest sur l'océan et moi sur ce que je pense être un village, Cholame. En fait, le lieu symbolique se compose d'un "Cafe" et d'un gros arbre qui abrite le mémorial dédié à James Dean, idole morte sur ces lieux. Au bar, la décoration est dédiée à l'acteur ce qui rend le sanctuaire attachant et plein d'histoire. Côté supermarché, ce n'est pas le top et comme à Lourdes, je charge en eau. Devant moi, un col se dresse avec pour seul compagnon ... un soleil en nage. La zone semi-désertique est un régal qu'une route rectiligne aux forts pourcentages ne parvient pas à rendre monotone. Au sommet, je découvre une plaine infinie et sans vie, tranchée par un axe absolument droit. Il y a dans cette image une image épurée magnifique mais également une hantise, une peur du néant. Étape torride et bestiale où seuls les kilomètres se comptent. A Lost Hills, un immense champ de pétrole est pompé par d'étranges créatures métalliques. Au village, l'animation est donnée par la colonie mexicaine avant qu'une rangée d'eucalyptus n'arrête ma course folle.

Lundi 13 Juin
Malgré la chaleur du jour, le froid nocturne m'a réveillé. La plaine entrevue hier se poursuit inexorablement. Dérailleur en sommeil, les kilomètres s'égrènent dans un corridor de plantations de fruitiers, principalement d'oliviers. Décor rapidement lassant, Wasco et Shafter me sortent de ma torpeur sans pour autant me laisser un souvenir impérissable. Au compteur la température est de 37°. L'entrée à Bakersfield est imminente et interminable. Très grande ville, sa zone commerciale est proportionnelle à sa population, une horreur je vous dis ! Dans cet empilage de hangars marchands hideux, pas la moindre magasin d'alimentation alors que la soif me taraude l'esprit. Finalement après des kilomètres de pénitence, j'entre dans la ville ... conforme à la norme américaine ... plus que décevante, à pleurer : une zone pavillonnaire, centre inclus encore que les centres n'existent pas et que les villes n'en soient pas. C'est ici que pour la première fois je découvre une forte proportion de noirs conjuguée aux latinos jusqu'à présent majoritaires. Supermarché éloigné (la voiture est indispensable), je dors en motel pour donner des nouvelles car il semble qu'ensuite il y aura plus de désert que de WIFI, quelque soit l'itinéraire choisi ou imposé.  Alors que je rêvais de communiquer avec la population locale, me voici cloisonné dans une chambre muette qui n'a pour toute valeur que le confort qu'elle me donne. Triste soirée !

article 7 posté d'Olancha

Mardi 14 Juin
La sortie matinale de Bakersfield confirme en tous points mes déceptions de la veille, les villes américaines sont à prohiber, un mot souvent utilisé ici au "pays de la liberté" (prohibited, property, privated ...) Sans attendre les km, un défilé m'avale, il s'agit des gorges du Kern. Ma journée sera consacrée à la remontée de ce torrent qui me guide au Lac Isabella. Paysage splendide mais comme toujours gagné au prix d'un effort important, 60km de montée très pénible avec une circulation féroce sur une route étroite et bien sur, sinueuse donc particulièrement dangereuse. Au village, je m'offre un pack de 2l de jus d'orange glacé que je sirote tranquillement dans le parc vaguement ombragé. Tout en cherchant l'emplacement de ma chambre que j'installerai en surplomb du Lac, je découvre l'espace commercial de la commune, lieu d'activité pas mais pas de rencontre. Allongéi dans une tente bien difficile à monter (ce qui ne manque pas de m’inquiéter), je rédige mes carnets sans hâte après cette bien belle journée un peu trop solitaire. La température stabilisée à 37° (je suis à 2750 ft) annonce une "Vallée de la mort" caniculaire mais j'y suis préparé. Ma présence à vélo déclenche des encouragements répétitifs qui réveillent une motivation parfois défaillante.

Mercredi 15 Juin
Réveil trop tardif pour ne pas prendre le temps de déjeuner, retour sur Lake Isabella et son supermarché pour faire le plein d'énergie. La rive Est du Lac sinueuse n'est pas sans relief mais elle m'ouvre de splendides horizons. Avec un tel environnement mon envie croît avec les kilomètres, mes yeux sont à l’affut des images, ma camera souvent en main. Brusquement l’itinéraire se muscle, ma carte ne l'indique pas, le Walter pass s'annonce incontournable. Il m'emporte à 5000 ft sous un soleil de plomb qu'aucun nuage ne filtre. Mon compteur affiche 41° dans les pentes les plus fortes. L'air est brûlant tout comme le macadam sans parler de l'eau des bidons. Malgré tout cela mon enthousiasme ne faiblit pas, pour preuve, une automobiliste me propose de charger homme et bagages, je n'accepterai que sa bouteille d'eau. Sympa non ? Au col, comme d'un avion, apparaît un immense désert taché parInvokern, étape obligée. Réconfort immédiat à l'unique grocery du village, puis à son inespéré camping, l'arbre étant à présent une denrée excessivement rare. Agréables bavardages de fin de journée durant lesquels j'apprends mes efforts étaient dus à la Sierra Nevada ... explication tardive !!

Jeudi 16 juin
Si le désert me fascine, il m'inquiète aussi. Un petit coup de téléphone à Stovepipe (Death Valley) pour prendre la température : monstrueux.... il fait 45°, ça fait réfléchir ... surtout les autres, moi j'y vais, mon mental est préparé. Pour le temps, une amélioration est prévue en fin de semaine. Départ à 4h pour m'économiser mais un fort vent contraire en décide autrement. De sombres pensées m'accompagnent, les inquiétudes persistent, les jambes tournent. Le jour se lève, les images sont belles, les idées noircies par les difficultés à venir. Montée continue sur 80km, finalisée à 12h30. A ma grande surprise, je ne suis pas éprouvé malgré la grande monotonie de ces heures solitaires. Longeant la façade Est de la Sierra Nevada, beaucoup trop proche pour en apprécier le charme et apercevoir le Mt Withney  j'ai cependant constaté la présence de neige et la fermeture du Tioga Pass cause de l'évitement de Yosemite. (La neige me fait rêver ... pour m'y vautrer. Alors que le plateau est brossé par un vent violent, une bonne surprise me guette à Olancha ... la présence d'un camping et à 3km d'une épicerie ! La fin de journée sera mitigée avec du bon avec du contact et du moins bon avec le dernier avatar de ma tente, son rétrécissement la rend diforme ... quelle cochonnerie cette acquisition ! Pour le reste contrairement aux apparences, je ne fais pas le malin, le plus dur est à venir.

article 8 posté de las Vegas

Vendredi 17 Juin
Nuit très perturbée dans ce camping en bordure de route. Même en camping sauvage je ne prends jamais un tel hôtel. A chaque passage de camions, mon impression est d'être dessous et pour corser le tout, un estivant tractant une maison 5 pièces arrive à 23h avec son 12 cylindres pour s'installer à mes côtés. Pour animer le tout, la sentant moribonde, le vent se déchaîne sur ma tente. Debout à 4h, je pars à 5, pour profiter du lever du soleil sur les espaces désertiques. A la sortie d'Olancha, direction plein Est. M'éloignant de la Sierra je peux à présent la contempler à loisir. Rares sont les véhicules, aride est le terrain, Death Valley NP n'est plus très loin, toute cette désolation m'oppresse. Soudain, le plateau s'effondre, je plonge dans un gouffre sans fond aux pentes hallucinantes. Le spectacle est grandiose, ma vitesse folle. Déposé à Panamint Springs 3000 ft plus bas à midi, je suffoque dans l'étuve, l'inquiétude me ronge. Devant moi, la sortie du four semble ... verticale. Un restaurant, une épicerie minimaliste, un camping squelettique et venté  Incroyable, j'y découvre un américain à vélo. Il n'ose se lancer seul, je l'accompagnerai mais en attendant laissons la vie nous charmer. Nous sommes dans Death Valley et à présent la chance doit intervenir et nous aider sinon adieu.

 

Samedi 18 Juin
Jonathan, patron de Panamint avec qui nous avons sympathisé, se propose de nous monter sur le mur d'en face pour éviter la portion à 9%. Pas favorable mais comment ne pas accepter une telle offre ? Départ différé à 8h30. Il fait déjà très chaud lorsque nous enfourchons les bêtes. Après un premier arrêt dans camping isolé, nous choisissons de poursuivre. Je suis impressionné par le décor et peu rassuré sur l'avenir mais à 2 ... La course se poursuit. Pause à Stovepipe Wells situé au niveau de la mer. Le camping est fermé ... trop chaud. Un shop nous permet de boire à loisir mais le lieu ne nous plait pas. Dans la fournaise, nous ne passons pas inaperçu et apparaîtrons sur toutes les cartes mémoire croisées. Cap sur Furnace Creek. Au compteur 47°, le moindre dénivelé nous colle au bitume, L'expérience est unique, l'angoisse sourde. Si l'eau n'est pas un problème sa température nous empêche bientôt de la boire puis ensuite de l'utiliser ... elle brûle. Quelques arrêts photos avant la mise à mort, sans eau la soif est insupportable, les 12 derniers km, un enfer. En zone rouge, j'atteins Furnace Ranch ... la chambre est à 200 USD, faut pas me prendre pour un américain, sus au camping ... chauffé avec l'eau froide à plus de 37°, ils savent recevoir le touriste  ici ! Je monte ma tente difforme puis me réfugie dans un rocking-chair du General Store pour faire le point. Force est d'admettre que cette journée n'a pas comblé l'espace préparé par mon imaginaire. Le Parc à Mickey dans lequel je me repose seul au milieu de centaines de consommateurs n'aide pas à positiver. Seul bon point, le décor grandiose de la pièce et ses vues d'altitude sur les Salt Lakes aux reflets argentés. Une journée inoubliable ...

Dimanche 19 Juin
Entre mourir étouffé ou piqué je dors sur le sable à boire de l'eau tiède et fondre sur mon matelas, la température ne parvenant à descendre aux 25° annoncés. Au lever, je constate toutes les tables et bancs sont occupées par des dormeurs ... à l'abri des rampants. Départ au petit jour, il me faut prendre de l'altitude au plus vite car au Sea Level, l'air est irrespirable. Je reprend la Death Valley là où je l'avais abandonné hier. Un long corridor en pente douce s'offre à moi, 1000, 2000, 3000 feet ... me voici sauvé de l'asphyxie. Sur le plateau, le vent est géant et la transpiration pompée par le gaillard. La bagarre est sans concession mais la sortie du désert me donne une énergie folle. A Junction, l'hôtel et le restaurant méritent la visite et probablement la pause, l'architecture du bâtiment me transportant vers d'autres déserts. Sorti de la Vallée de la mort, j'imagine à présent des contrées moins hostiles. Je me lance vers Pahrump plein d'énergie. L'entrée au Nevada ne change pas le paysage et pourtant j'entasse les kilomètres. Sans être laid le décor manque de variété mais pas de pentes. Les faubourgs de la ville me donnent le sourire, la brouillonne zone multi-services beaucoup moins, une horreur à la sauce américaine, une cité fantôme dans laquelle je loue une chambre, faute d'autres solutions. Mille feux scintillent dans le casino associé à l'hôtel qui lasse intacte ma solitude pesante. Contraint à l'isolement, privé de liberté aventurière, me voici confiné dans un rôle de touriste à vélo. Insupportable !

Lundi 20 Juin
A 7h, la nuit m'a porté conseil et fort de nouveaux objectifs, j'empoigne avec hargne mon vélo. Il me faut secouer cet infâme face à face avec moi-même, raccourcir les étapes et éviter les motels. La HW160 m'attend, elle symbolise tout ce que je déteste. Décidément cette aventure tourne au cauchemar. Sur 55km d'autoroute, j'ai le temps de ressasser ce qui ne va pas. A Mountain Springs, je ne trouve qu'ascension et pancarte, le village annoncé n'est pas encore construit. A Mountain Springs Summit 5502 ft, un village d'accès privé ne permet pas la pause. Col franchi j'entame la descente et au détour d'une courbe, Las Vegas m'apparaît au loin. Surprise et sublime. 40 km tristes à travers des faubourgs sans teint me portent à une station service pour me désaltérer. L'aéroport inséré dans la ville m'étonne tout en ajoutant du bruit au bruit. J'apprécie le mélange du désert naturel avec la folie imaginative de l'homme. Les immeubles surgissent me laissant ébahi, étonné et incrédule. Ébranlé par l"activité débordante et une circulation dangereuse, je cherche le bureau du tourisme puis le motel dans lequel je séjournerai. Opération gloutonne en énergie, me voici locataire dans l'empire du jeu. Créé au cœur d'un implacable désert, il fallait justifier cette sottise par la démesure poussée à son paroxysme. C'est ce que je découvre en fin de journée au guidon d'un Yaka délesté de ses bagages. Juxtaposition de clichés populaires, concentration de rêves enfantins, mises en scène délirantes, tout ici semble possible et accessible sans parler des salles de jeux qui se répètent à l'infini. A qui veut sourire aux images et goûter aux excès, je conseille un petit bain dans ce paradis artificiel. C'est à coup sûr, la plus folle des images de ce périple même si à cette occasion, mon écologie me fait un peu mal.

Mardi 21 Juin
Je recolle à l'exploration entamée hier. Dès l'aube, j'arpente le "Strip" où "kitch" et excentricité se côtoient. C'est ainsi que je butte sur les grands hôtels, répliques de l’Égypte ancienne, de Venise, de Paris, de la Chine impériale, de l'île au Trésor, de la Riviera et bien d'autres thèmes. Artères dédiées à la voiture, passerelles et ascenseurs ne sont pas des plus pratiques avec le vélo. Cette journée de repos ne l'est pas vraiment et malgré les dizaines de km parcourus je ne parviens pas à trouver une tente en remplacement à celle qui m'accompagne. Problématique ! Wifi et hôtel étant incompatibles, un rapide aller/retour de 20 km à la bibliothèque pour vous donner de mes nouvelles. Sur les boulevards rugissants impropres à la pratique du vélo, il est primordial de penser à sa survie, pas à son bon droit. A présent je connais Las Vegas comme ma poche mais choisis les heures les plus chaudes pour pratiquer la mécanique vélo dans la chambre climatisée. Demain les vacances c'est fini alors que dehors la température est bestiale ... quel gâchis énergétique !

article 9 posté de la porte du garage

Mercredi 22 Juin
A la porte de la chambre, Yaka est harnaché pour un départ matinal. A minuit, les démons me réveillent, l'évidence phosphorescente m'apparaît dans la pénombre, ce projet est une utopie malheureuse qui ne m'apporte que contrariété dans sa forme actuelle. L'esprit des Aventures Ordinaires a fui ce trans-USA. En fait, le désert que j'avais estimé limité n'en finit pas et avec lui ses contraintes, longueur des étapes, solitude journalière, paysage aussi harassant que la chaleur, dénivelé assassin et sournois, points vitaux difficiles à concrétiser sans GPS, motel sans âme si ce n'est celui de " business is business ". Carte dépliée sur le lit, j'étudie les options contrariées par une tente en phase terminale mais aussi par l'inertie qu 'engendre le vélo pour un moindre transfert. A 5h, le projet est mis à mort. A 6h, l'aéroport est engorgé mais un doute ultime m'en interdit l'accès. 60km vers grand Canyon me persuadent de la justesse de ma décision nocturne. A proximité de Searhligth, je traverse la Highway. Le retour sur Las Vegas est définitif. J'entre alors dans la procédure longue et coûteuse d'un retour non programmé avec bagages et bicyclette. L'absence d'internet ne facilite pas ma tâche. A 19h, explosé physiquement, un taxi me dépose à l'aéroport avec vélo en box.

Jeudi 23 Juin
Nuit blanche dans le hall et les courants d'air. 5h30, encore des soucis avec America Airline qui me réclame un solde de 60 USD, ce qui fait de ce trajet un retour en " OR ". Enfin l'avion décolle et dans un ciel pur, l'immensité aride est confirmée, " Rocky Mountains " n'est en rien un terrain de jeux, c'est tout simplement un immense désert avec une géologie particulière dont les éléments sanctuaires sont promotionnés par des Parcs Nationaux très actifs. De cette manière, cet énorme territoire est ouvert au tourisme, les liaisons entre les différents sites faisant l'objet d'infrastructures parfaites et adaptées aux voitures et avions, en aucun cas aux vélos. On peut cependant participer à cette visite par ce moyen mais il faut en faire son projet. Je découvre tout cela de 12000m de haut avec mes petits yeux tristes... Bon Sang, mais c'est bien sûr ! J'aurais pu le savoir avant et aurais fait l'économie d'une année sabbatique. Je reste à la conquête de l'aventure humaine, non la connaissance des musées du monde soient-ils en extérieur ! Amen !
Le transit par New York est encore l'occasion d'un beau bras de fer et de belles courses à travers les terminaux. Embarquement prolongé pour m'attendre, je rejoins ma place ... ivre de sueur.

Vendredi 24 Juin
Nuit semi-blanche durant le vol. Vivacité émoussée, je manque de réflexes à Londres, le temps de transit étant trop court. Encore une belle suée pour obtenir le droit à mon siège. Arrivée à 11h à Basel mais seul. Yaka a eu moins de chance que moi, il a loupé une correspondance entre Las Vegas et la Suisse, pas surprenant lorsque je repense à mes cavalcades. Je laisse mes 40kg de bagages à l'aéroport. Navette pour la gare de St Louis. Train pour Mulhouse puis Belfort. Devant la gare, un copain patiente et me conduit à la maison. OUF ! Il est 16h ... l'heure de l'apéro non ?

Image finale du périple ... Las Vegas
Image finale du périple ... Las Vegas