Devant l'instabilité du Caucase, mon projet est annoncé la veille du départ :
De la porte du garage jusqu'à Tbilissi, capitale de la Géorgie soit un périple de 6500 km en 63 jours. Si les montagnes Albanaises furent un sommet de persévérance, Istanbul restera inoubliable. Pour la première fois de ma vie, je change de continent pour contempler par son versant Sud la chaîne du Caucase, toit du continent Européen au Mont Elbrouz 5642 m. La guerre Russo-Géorgienne moins d'un mois après mon passage ne m'a pas surpris, la situation en Juillet n'étant pas reposante. Usé psychiquement, je suis revenu par avion, là aussi une sacrée aventure.
Ce raid également très dur physiquement par le dénivelé m'aura révelé mes insuffisances tout comme les faiblesses de mon compagnon de route.
Bonjour, le départ a sonné.
Dimanche 4 mai
Hier à 16h j'ai annonce mon départ. C'est donc malade que je prendrai la route, le mal traitera le mal. A partir de cet instant la vie s'accélère. Déjà
la journée est finie, la nuit également. Debout à 5h le rythme ne faiblit pas. Prêt à 10h, incroyable et de plus ... le soleil. Bien des amis sont là, vite un petit verre pour la route et hop le
bitume m'emmène. La boulangerie du village est mon premier objectif. A présent j'hésite. Super pioche avec piste cyclable le long du Doubs. Cette première journée est un bonheur, la bagagerie une
réussite, les améliorations des extras. Ce soir je me bats avec ma tente sur le camping de Besançon.
Lundi 5 mai
Grosse et bonne nuit. Je récupère du stress d'hier tout en m'habituant à la vie au grand air. Temps formidable. Besançon me berce parmi mes souvenirs
d'étudiant. Très chargé à l'avant, la conduite peu à peu se domestique, reste les us à réapprendre. Rôti par un soleil brûlant, mal de dos jusqu'aux oreilles, j'en oublie ma toux et mes poumons.
Les soirées sont fraîches, le sud de Lons n'est pas encore le Sud de la France.
Mardi 6 mai
Le soleil mord avec frénésie jambes et bras nus. Je retrouve la dure loi du vélo avec un fort vent de face et une route musclée ... Face à ces
oppositions, je trouve la caravane bien dure à tracter mais lentement la volonté s'impose, la bête en moi se réveille. Une heure de repos à Bourg-en-Bresse, la selle respire ... En fin de
journée, les berges lascives du Rhône me retiennent pour la nuit.
Mercredi 7 mai
Après une telle compagnie, le matin ne pouvait être qu'ensoleillé. Je retrouve les plaisirs du voyage : temps clément et petites routes sans
circulation. Baigné de douceurs, je me trompe de direction. Quelques kilomètres de bonus, le demi-tour reste un échec. Aux Abrets, je constate ma lenteur inquiétante et une circulation infernale
sur un modelé aux pentes sévères. J'en oublie les coups de soleil, un acquis bien ordinaire. Sans protection, mes bras et cuisses sont rongés par un soleil affamé. Un dernier col me lâche sur
Voiron à 19h. Souvenir mitigé de la ville, le stress du couchage n'ayant pas aidé à en apprécier le charme.
Jeudi 8 mai
Soleil matinal, la grosse fraîcheur nocturne permet une bonne conservation du hareng que je ne suis pas encore ! Piste superbe le long de l'Isère jusqu
à Grenoble où je me régale dans une ville plus morte que vive en ce jour férié. Mes souvenirs sont vivaces, les images jaunies, j'abandonne avec regret ce lieu de lointaine conquête par une piste
verte. Uriage abrite ses bains, Vizille expose son château puis Laffrey me teste avec sa côte infernale. Sur les hauteurs, je me grise depuis balcons et encorbeillements et m'essouffle dans des
escaliers abrupts. Ruiné physiquement, je choisis de dormir en altitude face à la neige bien basse encore. Bonjour la température ... Equipement non adapté à ces extras.
Vendredi 9 Mai
Superbe vue, soit, mais le froid m'a réveillé à moult reprises. Déjeuner à Corps, charmant village montagnard. Le profil guerrier de la route, la beauté
des panoramas ôte toute monotonie et efface tout ennui. Belle descente sur Gap, ville pour laquelle j'éprouve un gros coup de coeur et ce, malgré les agglutinements de touristes. Je vérifie
l'ouverture du Col de Larche avant de me lancer sur Barcelonnette. Je franchis la Durance au pied de son impressionnant barrage avant de défier la montagne dans un énorme face a face. La nuit me
surprend dans l'ascension, je hèle un carré d'herbe pour y monter la tente. Un vent d'enfer, un froid de canard, les conditions sont au top !
Samedi 10 Mai
Depuis ma guitoune, la vue sur le Lac de Serre-Ponçon est superbe mais la température glaciale. Je clos le labeur entamé hier en m'usant les pupilles
sur la vallée et ses profondeurs. Au col, l'absence de nom me laisse amer. Dans la descente, la puissance du vent m'impose de pédaler. Les 27 km qui me séparent de Barcelonnette sont rugueux, 3h
me seront nécessaires pour les parcourir ... c'est tout dire. Ma roue libre profite de mon inattention pour afficher sa déficience. Le problème est grave et la spécificité du matériel amenuise
les chances de dépannage. Arrêt chez le réparateur déjà visité lors de mon Tour de France. Cordial et compétent, trop de qualités nuisent ! Sans "spare", son action est limitée. Valises repues,
demain c'est dimanche et lundi férié. Montée du Col de Larche ... le lest me scotche à la pente, heureusement régulière. Le spectacle est grandiose, la joie du sommet intense. Glacé je plonge sur
le versant Italien et tardivement, me pose au bord d'un torrent grondant. Mon imprudence m'effraie.
Dimanche 11 Mai
Le torrent est resté dans son lit, moi aussi. De fines pluies alourdissent un capital soucis déjà bien gras. Je me réchauffe à Cuneo sous de pâles rais
de soleil. La veste ne me quitte pas, les magasins ouverts agitent leurs enseignes en signe d'amitié. J'enrage d'avoir chargé le mulet en France. A Fossano, la foire paysanne est reposante,
l'orage sournois. Je prends la clef des champs, les assauts célestes se succèdent. A Bra, trempé et excédé, je m'introduis dans un complexe privé destiné aux chevaux. Un bungalow est ouvert, me
voici tiré d'affaire. Dans ma tête, ma petite roue libre est une compagne usante.
Lundi 12 Mai
A l'aube, le ciel bleu m'enthousiasme, la porte du cercle équestre fermée me condamne à l'immobilité. A 10h, le propriétaire ouvre ... mécontent ... moi
aussi ! La chaussée m'attend, je pédale comme un enragé, frôlé par la conduite italienne. J'aborde Asti, plein de gaz, les magasins de cycles sont fermés le lundi ... ma roue libre grossit. Des
décombres d'un séjour passé, il ne reste rien. L'OT me confirme l'absence d'Internet-Cafe. Déçu j'erre à pied dans une ville spacieuse mais tristement close et durement pavée. Je quitte le
domaine de la bulle pour celui d'Alessandria et d'Internet. Rues vivantes mais peu Italiennes, mon intérêt s'éteint.
Lundi 19 Mai
Après le Cyber Cafe de Rijeka, conquête de la ville. Plus grand port du pays, j'observe depuis ses quais les immeubles qui colonisent la colline. Au
centre, une artère plutôt sympathique regroupe vie, animation et culture. Sa diversité me plait, ses couleurs tout autant. Pas encore quitté la banlieue que déjà le mollet travaille et que les
pentes se raidissent. Le petit braquet est de service pour accéder à un paysage grandiose. Sur une route sinueuse, 30km gâchés par des Croates ivres de vitesse. Sans autre solution, je m'impose
... enfin j'évite la mort et me retire du circuit à Crivenica. Voluptueux séjour à Selce où je baigne dans des souvenirs du siècle dernier. Un ultime effort me mène à Vinodolski pour dormir sur
la plage. Mérité !
Mardi 20 Mai
La nuit qui s'annonçait idéale fut en fait, un enfer. Après un gros grain, un vent terrible à décorner les boeufs. Pour le repos et la récupération, ça
attendra demain. Ma tente a gémi toute la nuit, je l'ai veillé sans relâche, attentif à ses moindres besoins. Le jour se lève, le vent persiste et joue avec mon équilibre et mes sacoches. La cape
est parfois indispensable mais alors les bourrasques me désarçonnent. Route côtière jusqu'au village de Senj sans alimentation. Les hauteurs m'appellent, rude exercice, infernal labeur dans un
décor sauvage de toute beauté. Les coups de boutoir du vent semble perdre un peu de vigueur, l'absence totale de vie et de hameaux retarde mon repas. Je roule de concert avec un Londonien qui
tout comme moi juge cette étape éprouvante. En fin de journée, enfin une épicerie ... et 2 clients ... abondance ! Un contrefort montagneux barre ma route, j'en entreprends l'ascension et plante
la tente derrière un buisson. Je domine la mer, pas le vent ... toujours présent. Les nuages arrivent au triple galop, je vous quitte.
Mercredi 21 Mai
A l'abri du vent, la tente a râlé sans trop souffrir. Paradis particulièrement pluvieux, je profite d'une accalmie pour filer. 4h sous l'arrosoir, glacé
je déprime. Apres 40 km enfin un market, le moral accoure. A Ravavanjska, la pluie me lâche et je constate que l'homme s'installe au détriment de la nature. Le paysage perd en intérêt ce que le
voyageur gagne en confort. Alors que Zadar approche, les champs minés durant la guerre Serbo-Croate interdisent l'accès aux bas-côtés. Kilomètres monotones. Voici enfin la ville qui fut le
théâtre de sinistres combats. Nombreux impacts de munitions sur les murs des immeubles de banlieue alors que le centre est intact. Petites rues étroites et encombrées par une jeunesse exubérante
et des touristes las. La ville est surprenante et agréable comme d'ailleurs la côte qui l'accompagne. Incroyable festin ! Je stoppe à 2 doigts de la mer.
Jeudi 22 Mai
A l'aube, le ciel me rend optimiste ... sera-ce le début du grand bleu ? Déjeuner dans un ex-petit port devenu nid à touristes. Je n'y fais pas de vieux
os. Cette portion de côtes est enlaidie par un béton de loisir sans intérêt autre que celui de loger un maximum de monde entre Juillet et Août. En cette période, rideaux et volets tirés, ces
quartiers sont ... sinistres. Sur un axe délibérément sportif, j'accepte avec plaisir la répétition des difficultés. L'arrivée sur Sibenik est particulièrement éclatante mais catastrophe, tous
ses magasins sont fermés ... en ce jour férié ! Je frappe dans les réserves et comble un estomac invariablement vide. Après la citadelle, le centre est conquis dans une chaleur croustillante.
Dans l'insouciance de l'ignorance je me lance dans une ascension sans fin de plus de 20 km. Soudain la roue libre décroche, le mental aussi, le passé revient comme un flash. Que faire sinon
poursuivre ? Le mal s'incruste dans la tête, les angoisses me conditionnent négativement, d'autant que je traîne une plaie handicapante à un pied. Alors que je débats avec des soucis de première
nécessité, le sommet soudain se rend et un spectacle magique m'est offert ... vue aérienne sur la baie de Split. J'oublie les faiblesses de mon compagnon et me laisse gagner par le bonheur de
l'existence. Quelle rencontre ! Je dors dans la vallée dans un champ d'Oliviers, l'esprit saturé d'interrogations.
Vendredi 23 Mai
De mon lit, malgré la proximité, Split reste invisible et mes soucis présents. L'arrivée sur l'enchanteresse m'ensorcelle, sa blancheur immaculée se
découpe sur l'azur céleste et des terres arides. Après quelques kilomètres de ce spectacle, je me saoule de celui de la vieille ville, blottie contre la mer. Ses rues sont si étroites que seul le
diable les emprunte. Ainsi guidé, je suis dévoré de curiosité, affamé de découvertes. Tiens, Internet me salue ...
Mercredi 04 juin
Agrinio me laisse sur ma faim, désespéré je me jette alors dans les bras ardents de la canicule. La danse n'en finit pas et le dernier tango sensuel à
Mesolongi me trouble. Je croque en grimaçant dans un citron amer puis dans de mielleux et savoureux abricots. Je poursuis ma visite, contemple la mer Ionienne qui scintille dans une immobilité
reposante. Devant moi, la montagne me guette, j'entame une longue ascension que la tombée de la nuit interrompt. Je dors dans un champ d'oliviers où le caillou manque de confort.
Jeudi 05 juin
La montagne me convient, pour preuve, j'ai dormi d'un trait. La brume se dissipe peu à peu pour me laisser entrevoir une mer au bas d'un à pic
vertigineux. La descente est sans fin, j'aère la bête et aiguise ma faim. A ma droite un pont gigantesque enjambe la mer, je n'imaginais pas que cela fût possible mais l'homme est capable de
toutes les prouesses comme de toutes les bêtises. L'ouvrage permet de rejoindre le Péloponnèse. Ouvert aux cyclistes, il est de plus gratuit pour eux ! Portées et hauteur sont impressionnantes.
Depuis la presqu'île, un regard en arrière me confirme immensité du projet. Doublée d'une autoroute, la route côtière est d'un calme Olympien, l'épicerie d'une saveur exquise. Conforme à mes
clichés d'eau bleue et de soleil increvable, le pays m'enchante même si je réclame plus de diversité et de tradition. L'Albanie encore toute proche accentue fadeur des paysages et égoïsme des
hommes. Un vent rageur me pousse très fort mais ne serait-il pas porteur de pluie ? Pour planter la tente, le rivage manque d'intimité, en désespoir de cause, je m'installe dans le jardin d'une
propriété. Repas fait, tente montée, un voisin affolé vient à ma rencontre et me conduit sur un autre domaine, le mien étant celui des serpents. Kaput, kaput me répète-t-il à maintes reprises.
Pour la seconde fois en Grèce, je dé-campe en pleine nuit.
Vendredi 06 juin
Au matin, comme craint, le vent toujours à l'ouvrage tire des rideaux de pluie et moi plus modestement, la porte du jardin. Sous la cape, les jambes
pistonnent allègrement une bicyclette filant à bonne allure. Doucement le soleil s'insère dans la matinée afin de brûler ce qui ne l'est pas encore. J'entre à VELO, le clin d'oeil m'amuse, tant
et si bien que je m'égare. Les 15km de détour s'ils ne sont pas dramatiques ne m'ont rien appris. Débarrassé des nuages, le soleil bosse. De Corinthe que j'aborde par le port, j'attends monts et
merveilles. Ses raisins et son éclat antique relance un intérêt trop souvent en sommeil. Après quelques velléités, l'assaisonnement grec affadit la ville, me brouillant avec le pays. Anesthésié
par la chaleur, j'en oublie l'Acropole, quelle misère ! Située sur l'isthme qui relie Péloponnèse et Continent, je bute sur le Canal qui relie les Mers Ionienne et Egée. Il est si profond qu'il
semble tout étroit. Dans ce périple, le point le plus méridional est ici. La nature y est belle et ... re-belle. Les sites antiques sont nombreux mais ... introuvables. Je concentre mon attention
sur les reptiles endormis et l'autoroute omniprésente. Des panoramas exceptionnels concourent pour me garder ce soir mais aucun belvédère ne permet le couchage. Athina approche, la nuit aussi. Je
dors en pleine ville, dans l'exiguïté d'un parc public.
Samedi 07 juin
Au réveil, mon premier regard est pour la mer, mon premier agacement pour la rue, trop bruyante. 5 km de selle et plouf, contre mon gré l'autoroute
m'avale. Seul cycliste, je roule à fond, conduite sportive diront certains ! Essoufflé, je choisis la sortie "Pireas". Belle grimpette avant de plonger sur les quais. Le petit port intime que
j'imaginais est en fait une pieuvre énorme aux artères terriblement dangereuses. Ecrasé par les buildings, le Pirée est une ville géante dans laquelle je perds mes repères. Remonter le temps,
sans savoir ce que je cherche implique courage, témérité et sang froid. Acropolis n'est pour moi qu'un nom. Faubourgs torrides et mortels sur 10 km ! Voici enfin l'Acropole, forteresse naturelle
d'Athènes, déjà je baigne dans ses parfums et par respect c'est à pied que je pénètre l'Antiquité. L'histoire me revient et avec l'altitude je découvre une agglomération infinie bornée par ses
Monts et le Golfe Saronique. Abandonnant ma monture à son sort, je me lance sur l'Odéon d'Hérode, le Parthénon, les Propylées, le temple d'Athena, l'Erechteion et ses Cariatides, tous ces noms
qui ont alimenté mes rêves. Que de marbre, de prouesses techniques, de grandeur et ... de touristes ! La Grèce enfin m'impressionne. J'abandonne ce symbole pour un dédale de rues dans lequel je
perds le Nord. Le hasard me guide au centre de la capitale pour y découvrir d'autres vestiges mais également la Place Syndagma, le Palais royal abritant le Parlement et sa garde folklorique.
Moulu, vidé, estomaqué, l'heure du départ a sonné, 70km dans la ville suffisent. Une banlieue interminable et ennuyeuse me colle à la peau, Marathon courre à ma rencontre, ma déception est si
grande que je me sens bien petit. Je me lance à la conquête d'un dernier sommet, le Lac Marathonas où je pose l'ancre. Quelle journée ... marathon !!!
Dimanche 08 juin
Pourtant si hostile (je me répète), la nature recèle de mille bruits savoureux. Rude exercice sur 20km de montagne qui me conduisent à l'autoroute !
Interdite aux cycles, je circule tantôt dessus, tantôt sur son flanc que l'ancienne voie double par intermittence. Police et péage porte mon taux d'adrénaline à des niveaux insupportables.
Plusieurs fois je tente de comprendre le mode d'emploi de cet imbroglio mais après moult tentatives, je me range à l'avis général : l'interdit pour qu'il le reste doit être violé. Ma rigueur
autrichienne en prend un coup ! Sur 50km sans aucun intérêt, la vitesse me grise, les képis me hantent. Repas de midi sauté, j'empile les km comme un fou afin de m'extraire au plus vite de ce
cauchemar. Dans une totale solitude je contourne durant des heures le Lac Iliki à la splendeur empoisonnée par l'autoroute. Après plus de 120km sur l'axe de la peur, je n'ai croisé aucun hameau
et malgré mes 6 litres d'eau je suis contraint à la halte dans une station service pour faire le plein ... un comble ! Je dors en rase campagne sur un sol bien caillouteux, genoux et chevilles
martyrisés par les piqûres.
Lundi 09 juin
Je reprends l'autoroute là où je l'avais quittée hier. Après une vingtaine de km, voici la nasse d'un péage non anticipé. Sans autre possibilité, je
m'approche en douceur, la voie de droite est libre, je m'y engage avec une fausse désinvolture, esquive la barrière le coeur serré. Je m'attends à être sifflé, appelé, je retiens ma respiration,
je m'éloigne, je suis passé, mon coeur bat à la chamade, je déteste ce pays. L'autoroute longe et surplombe la mer et voici que soudain une route file à droite, je respire. Koutantinos regonfle
un moral crevé. La légalité me donne des ailes, la foule me réconforte, le contact me caresse ... à boire, je m'enivre de cette station. 36h de solitude m'ont humanisé, un cybercafé me soustrait
à l'orage. J'apprends par un mail de l'ambassadeur que la Georgie m'attend !! 2h plus tard je quitte le confort du fauteuil pour l'humidité de la selle, puis plus loin, pour ... l'autoroute et la
déprime. Au défilé des thermopiles, la violence de l'orage sied au lieu. C'est ici que Leonidas et ses hommes succombèrent devant les armées Perses. Toute proche Lamia est source d'une nouvelle
déception. Je garnis mes valises et m'engage dans la montagne, ce qui m'évitera l'autoroute. Il est tard, je fais halte dans l'ascension dans la propriété d'un hôtel fermé.
Mardi 10 Juin
Le lieu est glauque, les insectes et le soleil carnassiers, les démangeaisons suspectes, la toilette succincte. La besogne m'attend, la pente est
régulière, un artiste retouche une pancarte au pinceau, les 16km de montée à 6km/h donnent le temps d'apprécier le panorama. Le sommet creusé dans la roche noire a la gaieté d'un enterrement. Je
file sur le plateau et ses grands espaces qui me rappelle la Meseta (Espagne). J'en goûte les subtilités et saveurs avant de plonger sur les immenses plaines de Thessalie. De ces champs infinis
émergent parfois des hameaux lointains. Farsala est un décor citadin planté au milieu des cultures, merveilleux espaces propices à l'évasion. Je clos ma Vélo-chée à Larissa dont le seul intérêt
répertorié consiste en ses 2 gendarmettes avec lesquelles je converse longuement. Je cherche à camper dans la zone Industrielle, ma seconde tentative sera la bonne.
Mercredi 11 Juin
Pas fait 5km que déjà l'autoroute me confisque, mon moral s'étiole. Une camionnette de la sécurité routière me prend immédiatement en charge avec
gyrophare et triangle lumineux. Mal à l'aise, nous roulons de concert à allure soutenue. Après une heure de ce régime, je m'habitue à cette présence bienveillante. Curiosité locale, les péages
sont franchis, la police oubliée, la tête en vacances, je pédale. Après 3h de cavale, une route m'offre la liberté, je remercie mon accompagnateur. Je savoure mon déjeuner tout comme le bord de
mer. La vie est belle, le vélo une aventure. Lyrique, avide de plaisir me voici ... sur l'autoroute ... désespéré. Après 100kim de ce régime, mon mental est à la dérive, je m'échoue à Katerini.
Sous un soleil saignant, les rues désertes me réconfortent, je décompresse. D'évidence je ne suis plus apte à conquérir d'autres km, j'ai besoin de calme, de repos, de silence et ... d'anonymat,
pourquoi pas ce point Internet ?
Je suis à Alexandroupoli où je reviens de la plage, l'eau est à 24, le sable chaud, les glaçons juste bien ... non, je délire car avec vélo et matériel ... le rêve est bref. Je suis par contre face à un clavier rebelle, l'affrontement commence ...
Mercredi 11 Juin
2h de clavier à Larissa ne m'ont pas requinqué. Il est tard, je dors sur la plage à la tombée de la nuit.
Jeudi 12 Juin
Le soleil couchant donne de l'épaisseur au paysage, une fontaine coule inlassablement, des arbustes nains cachent ma tente, la barre des 4000km est
passée, mais reprenons depuis l'aube. 30km très vallonnés et déserts. L'ex-nationale me gonfle d'espoir avant que l'incontournable voie rapide ne crève la baudruche. Cette infernale présence aura
gâché mon séjour, gloutonné mon énergie, anesthésié mon plaisir, absorbé mon attention. En définitive, elle restera l'image lancinante du pays, peu exportable auprès d'autres candidats tentés par
cet itinéraire. J'évite adroitement un dernier péage avant Thessalonique, point phare de cette journée (l'esquive est un métier). L'accès par les quais est princier, je ressens déjà le bonheur.
Le môle est fantastique, partout des vestiges se dressent, les monuments foisonnent, la domination Turque éclaire l'architecture, la maison natale d'Ataturk abrite son musée. Antiquité et orient
subliment le lieu comme l'Arc de Galère, la Tour blanche, églises multiples et tant d'autres pierres. Je suis saoulé et ébloui. L'enthousiasme me submerge, la citadelle me domine. Impossible d'y
accéder sans pousser, j'obtempère. Chaleur de plomb, pavés boiteux, je gagne le droit de posséder la ville du regard. L'heure avance, la selle me démange, un véritable mur me cloue au bitume.
Durant 2h je me débats contre la pente avant que l'épaule montagneuse ne se rende.
Vendredi 13 Juin
Le ciel est mauvais, quelques gouttes me taquinent, départ à contresens, je paie la bévue en kilomètres. Dans une nature brouillonne, je butine plus de
5h les rives des Lacs Koronia et Volvi sans rencontrer le moindre hameau. C'est dire aussi la ruralité grecque et sa contrepartie, l'importance citadine. Inlassablement le compteur tourne, mon
estomac geint. Subitement la Mer Egée se jette sous mes roues, immédiatement ma faim se restaure. Les plages se succèdent, l'animation me réveille, la clientèle clôt mon mutisme. Les rivages
défilent amoureusement, le bitume ceinture tendrement la côte, mes jambes tournicotent, les désirs m'enveloppent ... j'ai perdu l'autoroute. Je revis. Fondée par les Thraces, la ville
d'Amphipolis a été rasée. Seul son Lion a survécu. Je lui tiens compagnie, la méditation parfois me ressource. Une longue boucle évite un delta spongieux puis avec paresse me dépose sur les
plages. Là, un flot de véhicules fous envahit ma quiétude. Dans cette arène, les caprices de ma roue libre m'occasionnent bien des frayeurs, les pieds bloqués dans les pédales. La Mer attentive à
mes déboires me secoure.
Samedi 14 Juin
De belles perspectives maritimes méritent l'attention, parfois même la photo. A travers un territoire hostile au relief en dents de scie, la chaleur
lourde fige les pensées. 60km, je déjeune sans honte. La Grèce de mes illusions est bien loin. Végétation impénétrable, hameaux rarissimes, détritus abandonnés, propriétés cadenassées, 4x4
autorisés ... mon amour pour ce pays tarde à s'exprimer. Au détour d'un virage la vision de Karvala fait taire mes récriminations. Assise sur les collines, les pieds dans l'eau, la cité est
accueillante et sa construction en gradins ... une réussite. Le quartier du port est conforme au cliché que je traîne depuis tant de jours. Son charme me distrait, sa douceur de vie me pousse à
la pause. Enfin j'ai perçu un instant l'image de la grèce originelle, celle que je voulais voir. Il était temps ! Citadelle inaccessible, je pars à la recherche d'autres horizons. La mer
s'éloigne puis disparaît, le goudron coule, les lauriers exultent, je dors à l'entrée de Xanthi pour ravitailler demain Dimanche.
Dimanche 16 Juin
Après mes 10 heures de sommeil incompressibles, je me lève radieux pas comme le temps, très orageux. Polisson, il m'accorde un délai pour rejoindre le
centre de Xanthi et me faire part de sa mauvaise humeur où une terrasse m'abrite de ses foudres. Le lieu est d'une tristesse à pleurer, je fuis ... sans manger. Sur l'isthme de Lagos, le ciel se
fait beau, c'est dimanche ! Sur le port règne une agitation féroce, la désuétude du lieu se marie fort bien à la rusticité ambiante, ma faim demeure. Mais d'où sort donc toute cette foule ? La
selle réclame, je lui donne 70km d'une traite par manque d'intérêt. Appât de l'étape, Komatini est un leurre. J'explore la ville sous toutes ses coutures ... bien faites, mais c'est le style que
je n'aime pas. Le silence dominical provoque la surdité. Après 2h de fesses en l'air, j'empoigne le guidon sous un ciel noir, des éclairs vifs, des grondements impulsifs ... révélateurs d'une
très grande colère. L'invisible me guide à travers cette impressionnante mise en scène et m'en évite les éclats. Suivi par cette troupe bruyante, une escalade de plus de 10 km me place idéalement
pour la nuit. A une poignée de km, la frontière Bulgare limite mon horizon.
Lundi 17 Juin
Les intempéries m'ont évité. De la tente quelle vue magnifique, au dehors j'aboie 4 chiens errants. Nourriture dans la tente, je me félicite de cette
précaution. Haro sur Alexandroupoli, dernière escale Grecque. La descente est reposante, la mer reposée. Au port, sobre et quelconque, j'accorde peu de temps. Les rues tristounettes sont le
reflet d'un standard éprouvé et éprouvant. Je concentre mes emplettes sur nourriture et Euros dans une artère principale manquant de sensualité. Tiens un Web café d'où je me livre mais ... Bon,
je vous quitte, le futur me préoccupe.
Lundi 16 juin
A la sortie d'Alexandroupoli, la Mer Egée me jette un dernier regard. Pour ma part, je garde une image frustrante de cet instantané identique à celle du
pays. Un Lillois à vélo me hèle, son périple Européen l'a mené à Istanbul. Une trêve s'impose, nous nous contons nos histoires de soldats. Planning défoncé, je quitte Laurent pour la frontière.
Celle-ci est hermétique, la défiance entre voisins est palpable. Une heure pour pénétrer en Turquie, inactif, ma tête galope, mon coeur bat la chamade. Que de forces militaires en concurrence. La
police turque est amicale, l'armée plus encore, le drapeau omniprésent, la route rectiligne. Souffle le vent de la liberté à travers des marais infinis. Coincé par la nature, le gérant d'un hôtel
isolé m'accepte sur sa pelouse ... je refuse la douche qu'il m'offre, trop c'est trop. Exalté par tant d'humanité, si cette chaleur persiste, je m'installe au pays ! Je sombre dans un sommeil
souriant.
Mardi 17 Juin
Est-ce l'accueil ou le soleil, l'euphorie me grise. Petit détour par Kesan pour une première approche citadine et bancaire. Totalement dépaysé,
l'équilibre me manque, je suis bluffé. Dans un centre brouillon pour ne pas dire chaotique, respect, amabilité et bonne humeur rivalisent de convivialité. Les échoppes sont à elles seules des
bazars extraordinaires. Rues encombrées, trottoirs grouillants, boutiques achalandées, je suis accompagné, protégé, guidé et regardé par une population curieuse et souriante. J'incube pour mieux
m'intégrer, me dissoudre même si mon déguisement ne prête pas à la confusion. Rares sont les voiles, belles sont les filles. Peu à peu je m'acclimate, je comprends, je m'insère. Je jette tous mes
préjugés et clichés emportés ... rien n'est plus sot qu'un à priori. Je peux à présent, reprendre la selle et la remonter ... j'ai grandi. Ecrasées par le soleil, les bosses bombent le dos,
éreintant. Crochet par Malkara pour boire et manger. Les rues sont pentues, je traîne le poids des regards qui m'épient. Le thé, source d'échange m'est offert. Le contact se noue, l'étranger
attire, la colonie grossit. Bientôt je dois partir, m'échapper de la ruche demande de la délicatesse. Enflammé par cet intermède, chaleur et grimpettes forment un contre-feu qui m'évite
l'embrasement. En soirée, la Mer de Marmara me tempère, je dors à Tekirdag.
Mercredi 18 Juin
Une fine évaporation baigne le port de Tekirdag, pas encore éveillé. Pour preuve, une foule de dormeurs gît sur les bancs et pelouses qui jouxtent la
foire. Drôle de coutume ! Après cette étonnante découverte, celle du centre. Epiceries fermées, mon appétit alléché trogne. La marche me dégourdit les jambes, les trottoirs sont bondés,
l'activité débordante. Vélo et tenue provoquent les rencontres, l'overdose guette. Ma qualité de touriste me donne priorité, sourire et bienveillance, comme à la banque où de charmantes hôtesses
m'offrent le thé, le temps de traiter mes chèques de voyage. Je profite un maximum de la ville et de toutes les civilités qui me sont faites. Dans de telles conditions, comment voulez-vous que je
reprenne la selle de bon coeur, d'autant que la côte est une succession de bosses ensoleillées ? A présent, les plages s'empilent au même rythme que les villages vacances réservés aux gens du
pays. Clôturés et gardés, ces camps ressemblent à des prisons dorées. La proximité d'Istanbul n'est pas compatible avec le couchage, je stresse sévère. Un large échangeur me sort de ce mauvais
pas.
Jeudi 19 juin
Tendu par l'enjeu, je démarre à 5h. Istanbul, mégapole estimée à plus de 13 millions d'âmes me fait franchement peur. 30km sur l'autoroute d'accès me
mettent dans l'ambiance, malgré l'heure la mort rôde. Je quête ma route à chaque bretelle, mais avec une destination nébuleuse, les renseignements ne le sont pas moins. Ville monstrueuse (à perte
de vue des immeubles de tous côtés), elle baigne ce matin dans des tons rosés. Très inquiet sur mon futur, je regrette mon passage dans cet enfer mais peut-être y étais-je tenu ? Le hasard et une
phénoménale intuition me déposent sur l'axe menant au coeur de la cité. Voici les murs d'enceinte de Constantinople, j'exulte c'est Byzance, je sens que le but est proche. Le Bosphore me guide au
grand Bazar. Le souk, par ses images me commotionne. Le choc est brutal, mes sens saturent, j'ai changé de planète. Je contemple quelques minutes, histoire de reprendre mes esprit ... et des
forces. Va falloir y aller maintenant et avec le mulet ! Hélé de toute part, le thé coule, je stationne plus que je n'avance, à ce train, la ballade n'en finira jamais. Que d'anecdotes, un livre
n'y suffirait pas comme par exemple l'achat d'un gant de toilette avec 2 belles vendeuses pour moi tout seul et à l'extérieur 2 gardes pour mon vélo ! Je me délasse dans le bonheur, ce pays ne
cesse de me surprendre. Ste Sophie, la mosquée bleue et tant d'autres monuments dansent autour de moi, nain englué dans une marée humaine pacifique. L'heure avance, le détroit du Bosphore est à
franchir mais ... comment ? A vélo, un premier pont m'est interdit, un second également. Je parle très mal le Turc, mon moral est dans le trou, mon énervement au top, je me débats pour
comprendre. Finalement, une hôtesse m'est dépêchée, elle me conduit au bac. Je pense que sans elle j'y serais encore.
La traversée du Détroit est longue, je savoure cet instant. Je pose le pied en Asie, formidable ! A présent, il est tard, il me faut partir dans la
bonne direction, je suis complètement perdu. J'interroge sans cesse, je suis sur la bonne route, l'angoisse de couchage me dope, je roule à fond mais toujours la ville, la ville, la ville. Il
fait nuit, on m'indique un "Otel", c'est une cellule mais je l'occupe. Quelle journée !
Vendredi 20 juin
Je fuis le pénitencier, une halte à l'épicerie provoque un attroupement ... phénomène de banlieue. Je roule dans une cité infinie ... peut-être en rond
! Les quartiers périphériques me collent à la peau, impossible de m'en défaire. Après des heures de selle enfin le golfe d'Izmit qu'une forte implantation d'Industries lourdes rend sombre et
gris, peu propice à la délectation. Par chance, l'homme dans ce milieu tristounet reste accort et sympathique. Les contreforts montagneux me poignardent là même où l'accueil redouble de
gentillesse. Aujourd'hui encore, ma roue libre défaille (manquant de me jeter à terre), mes soins la secoue sévère, le voyage se poursuit ... par bonds. A Izmir, le dernier séisme a fait 17000
victimes. Pas rassurant de se savoir sur la faille que je remonte. Dans mon dos la Méditerranée s'éloigne, je ne la reverrai plus. Peu à peu la verdure broute mon horizon et les km, mon énergie.
A la nuit, à la recherche d'un couchage, les pompiers d'Adapazari me convient à partager repas et logis. Trop content, j'accepte, génial !
Samedi 21 Juin
Soirée festive avec le match de coupe d'Europe Turquie-Croatie. Au lit à la mi-temps, quelques éclats parviennent à me sortir de ma torpeur. Un incendie
nocturne complète le forfait, résultat... ce matin il pleut. Si la bicyclette est un formidable vecteur de rencontre, l'humidité elle, m'isole sous la cape. Les chaînes Est-Ouest sont à présent
Nord-Sud, c'est à dire frontales. Je gagne Hendek (défendu par un col) à la force d'un jarret vaillant, avant d"escalader un second col (900m). Au sommet, un hameau et sa pauvre épicerie
m'arrêtent. Soudain résonne le chant de la mosquée en harmonie avec le paysage. N'y tenant plus, le temps s'interrompt, je pénètre dans ce lieu de culte pour m'en imprégner. Sa nudité frôle
l'austérité. Sandales aux pieds, la descente est un luxe, Düzce m'attire, mes sacoches implorent une pause. Au centre, la fête bat son plein, l'animation se dispute à la turbulence. Les
rencontres se multiplient, d'étranges et de belles, très belles. Seul touriste, les clowns de service m'interpellent. Je me laisse prendre à leurs jeux et bientôt participe ... file le temps ...
et lorsque celui de partir est venu, c'est sans aucune envie que je m'exécute (la beauté de l'instant réside dans sa brièveté), d'autant qu'une escalade renégate m'attend. La Col Bolu est vaincu,
la nuit tombée.
Dimanche 22 Juin
Ayant campé sur un domaine privé, je suis invité à déjeuner. Drôlement sympa l'autochtone non ? Au mur, une carte du pays m'apprend que le relief à
venir est ... colossal. Va falloir être courageux et combatif. Repu, je me laisse dégringoler jusqu'à Bolu. Ma prévoyance dominicale m'incite à l'arrêt. La boulangère est un pain ... d'épices,
diablement coquine. Après la curiosité naît la complicité, elle exploite ses traditions et toujours ... file le temps ... Un départ sans enthousiasme vers un futur exigeant. En effet, la montagne
prend de la hauteur et moi de l'altitude. Point de répit dans l'effort que contrarie le vent qui attise mes braises. Le Col Fakilar tait mes grognements. Mon amour pour la montagne et ses
difficultés s'est aujourd'hui mué en indifférence voire en haine, le propre de l'homme étant le décalage instantané entre le corps et son âme. Irritable, la sérénité me revient dans l'originalité
et l'authenticité de Gerede. La proximité des cieux a su protéger ses traditions et son panorama géant. La culture musulmane est transparente, les chants gutturaux des mosquées valant bien les
bons tintements de nos cloches. L'Occident s'enfuit.
Lundi 23 Juin
Isolé, pas même un oiseau pour m'éveiller. Depuis Gerede, je besogne dur sur un faux plat. L'aridité des terres produit des paysages dignes du
fantastique. L'homme est exclu de cet environnement, mais parfois dans le lointain je devine une bâtisse. La prévoyance m'oblige au rationnement de l'eau donc à la conduite économique. Bercé par
ces longues solitudes, les heures trottinent avec paresse. A 16h, je donne un dernier coup de botte à ce sommet insaisissable et très élevé. J'enchaîne par une descente aux accents "Western". Ce
genre de paysage me fascine. En contrebas sur le plateau, à l'écart, je perçois le toit de quelques habitations. Le besoin d'eau m'y entraîne ... Cerkès et un accès Internet ! Un courriel
m'annonce la naissance de ma petite fille ... A boire ! Le taulier m'offre 1 puis 2 thés. Santé Charlotte !
Lundi 23 Juin
Après les news "famille", la jeunesse de Cerkés m'accompagne gaiement jusqu'à la nationale. Je reprends le collier avec détermination. Mon pédalier
choisit un environnement grandiose pour me soucier. Sans la clé indispensable ... faut tenir ami, le but approche. Je m'applique à ménager le porteur tout en me concentrant sur des paysages qui
me subjuguent, une sorte de cinéma réalité. Passablement émoussé malgré une volonté entière, le détour par Kursunlu s'il est impératif pour les emplettes et de trop pour la bête. L'accueil
intensément chaleureux utilise mes dernières cartouches, le besoin de repos est cruel. Sous le soleil couchant, le paysage fascinant me poursuit alors que c'est officiel, les 5000 km sont
avalés.
Mardi 24 Juin
Ma nuit dans la steppe rase a été sans souci. La chaleur matinale prévient d'une journée difficile. Déjà 30km et pas un hameau, ni bien sûr, d'épicerie.
Par prudence, l'aller-retour à Ilgaz s'impose au moins pour l'eau. Bonjour l'escalade pour atteindre la ville mais alors quelle récompense. Isolée sur les hauteurs, hors des circuits
touristiques, la bourgade est un concentré de tradition, un passé au présent. La vie maille les rues, les boutiques créent le lien, la couleur tapisse les façades, les saveurs orientales se
mélangent, le silence est musical. Tout ici concoure au bien-être, je suis choyé, conduit, conseillé et pire encore, mes achats me sont offerts. Tout a une fin, celle-ci n'est pas la plus légère.
Comme toujours, après la facilité, la difficulté. Profil ondulé, vent coriace, soleil assassin, je me traîne sans grâce. L'aridité extrême donne une beauté biblique aux lieux. Hargneux et
économe, je traite mon eau comme la prunelle de mes yeux. Dans ce décor inoubliable, camions et bus m'insupportent, parfois ma rage éclate ... inutile. 100km sans un bled, Ilgaz m'a
sauvé.
Mercredi 25
Couchage chanceux. Après le désert du plateau, la rizière du Kilizirmak et enfin un parking, dur mais sec. Des excroissances rocheuses jalonnent un
corridor particulièrement verdoyant à sa base, sec sur ses hauteurs, qu'aucun hameau ne fertilise. La route s'élève sans peine jusqu'à Osmancik où par précaution, je charge la bête. 50km au
compteur, je déjeune. Ici aussi la tradition est vivante, les boutiques ouvertes baillent tels des coffres corsaires chargés de trésors, les ors scintillent dans les vitrines, les sensations sont
tactiles, le local de plus en plus cordial, le thé inlassablement offert. Je ne m'habitue pas à la suspension des conversations sur mon passage, mais quoi faire ? La selle me reprend, cuir tanné,
je change d'exercice. Le col d'Ulubel (960m), dans la fournaise et contre ce maudit vent est fastidieux. Epuisé, j'évite Gumushacikoy de peur de m'achever dans un surplus inutile. Je n'aurai
comme hier, rencontré qu'une bourgade dans cette journée de galérien. Plongé dans les grandes cultures, je demande l'hospitalité à une station service pour camper, la douche m'est proposée.
J'accepte le package, épuisé par la route et ses chauffeurs.
Jeudi 26 Juin
Parfumé aux "essences" brutes de raffinage, je remercie mon hôte. A coup sûr, ma présence fût une pub mal ciblée. A peine sur la selle que déjà je la
quitte, Merzifon m'ouvre porte et appétit malgré l'heure hyper-matinale. Le centre copie nos standards Européens, aseptisant tout le charme de la culture locale. Par chance, les quartiers
adjacents ont su conserver leur identité, ce qui en fait un espace plein de vie, de couleur et d'harmonie. Très à l'aise dans ce contexte, il n'en demeure pas moins que le contact consomme
beaucoup d'énergie. Pour un juste équilibre entre plaisir et fatigue, ma fuite suit l'adoption. Raide l'accès à Havza d'où je vous écris. Ses portiques d'entrée signent son originalité, la belle
m'a séduit. A présent vous savez où je suis.
Dehors le soleil règne sans partage. La ville posée sur la colline (caractéristique turque ?) donne une coloration pèlerinage à mon excursion. De la
surprise à la découverte, de la timidité à l'exubérance, ma soif de voir, de toucher, de sentir, de goûter est plus forte que mon appétit d'aventure. Les bains de foule s'ils m'usent, m'aident
également à grandir. Gonflé à toc, 3 cols m'attendent, la montagne ne lâche rien. Pas encore quitté Havza que déjà la pente se rebiffe et que le bitume pourtant récent est arraché, haché
probablement par cette cohorte de camions sanguinaires. Dans l'arène, la survie est effroyable. Klaxonné, frôlé, la haine est ma seule arme, mon poing levé, ma seule expression. Je doute
d'arriver sans encombre. Le premier col défoncé est une horreur, le second en chantier est entièrement charrué, le dernier, bouleversé et retourné est atteint à la nuit. J'y dors dans les
décombres. Mon compte est bon !
Vendredi 27 Juin
Mon entente avec le col fût parfaite, sa descente ... impraticable. Rodéo-cross de 30km, hagard, éreinté et empoussiéré, Samsun ne me reconnaît pas, un
point d'eau m'éclaircit et m'ôte mon aspect lunaire. Structurée, moderne, presque Européenne, la ville est pâle. lisse, fade, une sorte de corps sans âme ... une purge ! Déçu par la vilaine, elle
est aussi mon point de jonction avec la Mer Noire sur laquelle, par compensation, je me jette avec avidité. La rencontre est un Plouf silencieux, le rivage étant entièrement bétonner ou empierré.
Le rendez-vous est raté. Navré, la selle me réconforte, la côte s'éloigne. A Carsamba, je vibre au contact d'une identité conservée. Le spectacle est dans la rue, la bonté dans les yeux, la
richesse dans les coeurs. Quels déballages et quelle proximité. L'heure tourne, mes petites pattes aussi ... je pédale droit sur la Mer. En soirée, la voici, j'y plonge ... les 2 pieds. Notre
nuit sera commune, elle sur le sable noir, moi dans une cabane de chantier mise aimablement à ma disposition.
Samedi 28 juin
Assis sur la plage, la Mer Noire garde sa douceur qu'elle soit roumaine, bulgare ou turque. Le camp est endormi, je file à pas de loup. La mer s'absente
pour recoller à ma roue à Unye. La ville en chantier n'est guère désirable, seule son alimentation me convient. Je note une certaine constante locale qui consiste à entreprendre des travaux sans
véritablement les terminer. Chaleur poisseuse, mer d'huile, la pendule galope. Fatsa, son coeur est radieux, ses rivages nets et empierrés n'ont pas la légèreté de mon coup de pédale. Soudain, un
tunnel me fixe droit dans les yeux. J'hésite puis m'élance, le ventre noué, à toc sur les manivelles. 4km d'éternité me laissent trempé et tremblant. Bravement j'ai gagné Ordu, mais dans ses
rues, je constate la fracture entre intérieur et littoral. Enthousiasme en berne, la côte reste une source intarissable d'émerveillement. Invité sur un camping dominant la mer, quel gâchis de
fermer les yeux sur un tel environnement !
Dimanche 29 Juin
Esquive discrète dans un camping totalement silencieux. C'est dimanche et pour moi, il s'annonce travailleur par la faute d'un relief en activité. Le
cachet des immeubles de Giresun n'est pas inoubliable contrairement aux monstrueux travaux de voirie qui m'en interdisent l'accès. Dans une chaleur à couper au couteau et avec un appétit finement
aiguisé, je m'introduis à Kesap où un Web interrompt ma course.
Dimanche 29 Juin
Activité réduite mais magasins ouverts à Kesap. Sans autre intérêt la ville est rapidement digérée. Peut-être la langueur du dimanche ou le ciel gris
diablement chargé de nuages mais le pays a perdu son pétillant, l'uniformité générale me lasse, seule la mer m'ensorcelle. Pour couronner le tout, voici qu'une demi-douzaine de molosses me
défient, mon bâton les disperse ... sales bêtes Va. Mon humeur s'altère lentement et brusquement ... le tunnel de la mort ... si noir que je m'y perds, mon coeur s'arrête, ma détresse attendra.
Dehors, j'explose dans une inutile colère. Mon taux d'adrénaline baisse alors. A Tirebolu, je constate par mégarde des urines sanguines. Effondré, ignare en médecine, sans beaucoup de solutions,
je me place sous contrôle jusqu'à demain. La journée s'étire dans la stupeur, l'incompréhension et le doute, indifférent à ce qui m'entoure. Démoralisé, manquant d'énergie, le couchage est livré
avec un nid de vipères. J'en ai marre.
Lundi 30 Juin
3h, réveillé par la violence de l'orage, le piquetage tempête s'impose, la sortie également. Je rentre trempé, accablé ... dégoutté. Au matin, les
contrôles passent au vert et la cape sur le dos. Adieu aux serpents. Si ma santé semble bonne et mes urines claires, mes angoisses restent présentes et mes idées fixes. Le ciel est comme le
moral, malade mais plus les heures passent, plus l'un et l'autre me donnent espoir. Au loin Trabson se profile. La ville est d'importance et comme souvent, plantée sur la colline. Plusieurs
erreurs d'accès me laissent penser que je n'en verrai jamais le centre. Faux, ma persévérance m'entraîne dans un embouteillage monstre. Dans une animation démente, la vie est d'une intensité
folle. Dans un tel corps à corps, le quartier piéton est inaccessible vélo à la main. La concentration humaine est si forte qu'elle en est inhumaine. Baigné, mariné, saoulé, cet instant est
inoubliable, les acteurs magnifiques, le théâtre captivant. Cette pièce à elle seule résume fort bien le pays. Après ces instants de passion, la côte joueuse manque de piment. Quelques bourgs au
pas de charge n'apportent rien à cette journée mais l'impossibilité de planter la tente frise mes nerfs. Finalement à la nuit tombée, je campe en bord de route et au ras de l'eau, gardé par une
patrouille de chiens errants. Côté santé, rien à signaler.
Mardi 01 Juillet
Le clapotis des vagues a bercé ma nuit. Ma vigilance santé me rassure. J'aborde Rize sous un soleil digne des feux de l'enfer. Sa diversité me plaît,
ses contrastes m'interpellent. Parmi tout ce fatras le fil de la fidélité culturelle persiste malgré les efforts de la mer pour le rompre. La côte renoue avec ses clichés aguicheurs et
avantageux, mariant avec justesse sable et rochers. Instruit du danger, je suis hanté par les tunnels franchis à tâtons dans le vacarme du trafic et l'obscurité totale. Voici Pazar, une des
dernières villes turques. En arrière plan, des cimes enneigées bouchent mon horizon. Je pénètre dans la ville puis dans un Internet cafe. A bientôt j'espère ...
Mardi 01 Juillet
Après le Web, la ville. Le torrent charrie des flots de boue rouge, il pleut donc fort sur les hauteurs. Un mail de l'ambassadeur me confirme la paix en
Georgie et m'apprend que je suis dans les cultures de thé. Mes interrogations ont donc une réponse. Ma course continue, je m'échappe à Findikli, hasard chanceux. Archétype de la culture locale,
l'accueil y est exceptionnel. Le soleil couchant assombrit rues et façades, donnant à cette ville un aspect peu engageant. A vélo, les pavés sont impraticables et mes arrêts dans les boutiques
drainent quantité de curieux bienveillants, les femmes restant en retrait. Perturbé par la procession, dès que le sol me le permet, je dis au revoir à la meute et m'éloigne avec de visibles
gesticulations. Nuit mémorable, j'investis un phare en rénovation, une sorte de paradis parmi les détritus odorants, les chiens errants, et les camions ronflants.
Mercredi 02 Juillet
Halte sonore et nauséabonde. Au dernier village de ce pays "ami", j'échange mes Liras contre un casse-croûte. Randonneurs allemands, Walter et Angelika
roulent en Turquie et dorment à l'hôtel. Leurs bicyclettes sont techniquement parfaites, jaloux ? Une file interminable de camions patiente sur le bas-côté, la frontière barre ma route.
Le mulet est un pass qui m'ouvre toutes les portes. Quelle réception en Géorgie ! Pas encore sorti des chicanes que déjà un homme se précipite sur moi. Il gère l'office du Tourisme. Que de prévenance, alors que je suis sale, à vélo et sous la tente ! Après 30mn de palabres, je découvre la Géorgie en direct. Sous un vernis craquant, un décor alléchant. Durant 15km, je pédale la tête dans les étoiles, Batumi me réveille. Rues démontées, faible circulation dans un grand affolement, mes abatis sont à surveiller. La poussière est à fendre, les carrioles brinquebalantes remuent ciel et terre -surtout la terre-, la vie grouillante et bondissante donne un rythme rapide à une ville qui tourne au ralenti. L'habitat me laisse pantois, maisons vétustes et immeubles délabrés, tout est habité. Dans ce capharnaüm, je demande un délai pour m'acclimater. Le port me surprend par sa classe, son calme et ses quais déserts. Je lui préfère les entrailles du centre avec sa mendicité, ses pesanteurs et sa lenteur. Ecrit ou parlé le Georgien est indigeste, cependant j'interprète les conseils et change d'itinéraire. L'heure de l'exercice a sonné, direction plein Nord vers le Caucase. Le littoral est splendide, une épaule montagneuse me donne quelques sueurs. Poti approche, il est temps de quitter définitivement les rives de la Mer Noire. Brève cérémonie. Pour éviter l'Abkhasie, province sécessionniste réputée dangereuse, je défie marécages et moustiques puis 30km de clôtures. Dans la nuit noire, Vierge et St Christophe s'activent, une famille m'offre l'hospitalité. Quelle chance !
Jeudi 03 Juillet
Hier fût l'occasion d'une grande réunion. Famille très pauvre, je fus nourri de laitages, pain, fruits et légumes, le tout, produit de la ferme. Voisins
et famille attentive, la soirée fût longue. Ce matin, le départ est troublant, l'émotion forte, l'affection chaleureuse, le souvenir précieux .. l'aventure me reprend. Au loin, dissout dans les
brumes matinales, j'aperçois le Caucase ... un mur blanc qui bouche l'horizon ... gravé. A Chibati, l'épicerie aux accents soviétiques est un monument par la taille, pas par sa gastronomie. A
Lanch Kuti, derrière un alphabet barbare se cache des coeurs en or. La retenue Géorgienne contraste avec l'exubérance Turque. Il semble que tout date de l'époque Stalinienne. L'absence
d'entretien donne une sensation de misère grise qui sue des murs et des regards sans que personne ne paraisse s'en plaindre. Cette culture est si proche de la Russe que je ne saurais les
distinguer. Malgré l'intérêt, je poursuis ma trajectoire Nord, mon inquiétude grandit car Svanétie et province séparatiste d'Ossétie du Sud m'ont été impérativement déconseillées. Alerté par la
densification militaire, je décide de faire le point à Samtredia. Rues défoncées, murs délabrés, le spectacle est indescriptible, je suis atterré, n'ayant jamais vu une grande cité dans un tel
état. L'ambiance pesante me suit jusqu'au CyberCafe. A bientôt ...
Jeudi 03 juillet
La jeunesse désoeuvrée des quartiers nécessite un peu d'attention, le point internet ne m'a pas permis de faire le mien, je le ferai sur la selle. La
présence armée dans les stations essence me soucie. C'est chaud cette fois.
A Kutaisi, suivi par 2 individus en limousine, je me réfugie au poste de police. Un gradé me reçoit pour m'informer que le "Petit Chicago" est trop
dangereux pour m'y laisser vaquer seul. Ma vaillance disparaît. Escorté par un véhicule banalisé, je traverse la ville sans plaisir et sans sensation. A chaque zone, l'arrêt est obligatoire pour
changer l'équipage. Je crois rêver sans pour autant faire le malin. Je pense retrouver ma liberté hors de la ville ; il n'en est rien, le cirque continue. La situation est peut-être grave mais
surtout insupportable. Durant 40km, jusqu'à Zestaponi, je suis ainsi protégé. Dirigé sur l'hôtel, spectateur de mes aventures, cette situation n'est pas pour me plaire. Seul dans la chambre, mes
craintes s'évaporent lentement. Je décide alors que demain je sème l'armada ou j'arrête. En attendant je profite des commodités offertes ...
Vendredi 04 Juillet
Au petit jour, j'évite réception et centre de Zestaponi. Je crains plus la police que les autonomistes. Dos à la Svanétie (un danger en moins), je fais
face à la montagne. Faim, soif, beauté des lieux, faiblesses du vélo, le quotidien m'indiffère, l'Ossétie me tracasse. Alors que je besogne sévère sur les pentes, le pré-Caucase sur quelques
kilomètres s'humanise avec artisanat, restauration et vente de champignons frais. Avec l'altitude, les rencontres se virilisent, le danger se palpe, mon statut de touriste attise les convoitises,
l'argent décuple l'agressivité. Très tendu, (pas un véhicule sur les 5 derniers km), je passe le col Rikotis 997m. Dans la descente, la vitesse me protège sauf ... de la chute. Dans la vallée du
Metekhi, Khasuri est d'une rare indigence. Des centaines de hamacs sont à vendre, comique non? J'évite le voyeurisme mais la curiosité m'attire dès que la tension s'estompe. Ici je me sens le
bienvenu. Alors que tout est signé de l'époque soviétique, de rutilants et nombreux convois militaires sillonnent les routes. Quel décalage. Zkhinvali capitale Ossète est à 10 km à gauche. Je
file tout droit, paysage grandiose, caucase caché ... je pédale. Pour éviter les risques, je dormirai à Gori. Dans la banlieue aux immeubles tristes, je me sens presque en sécurité. La citadelle
en mauvais état reflète le pays. Le centre se rapproche, voici des boutiques et même des trottoirs ... des enseignes ... des promeneurs et enfin une architecture. Gori n'est pas la Géorgie. La
jeunesse crée l'animation, l'hôtel sur la place centrale me permet de goûter aux voluptueux et enivrants parfums locaux.
Samedi 05 Juillet
Des hauts de Gori, je supervise la chaîne du Caucase barrant l'horizon. Face à moi, les neiges éternelles du massif le plus haut d'Europe. Je savoure
l'instant, mon désir s'assouvit. Durant 80km je garde les yeux sur mon trophée. Un défilé m'annonce la capitale. L'agglomération est immense, son coeur modeste, sa localisation difficile. La
chaleur dans les rues m'étouffe. L'avenue principale a des relents d'Haussmann. Depuis toujours convoitée, la ville conte son histoire à travers son architecture aux saveurs mélangées. Des
légèretés orientales jouxtent des rigueurs soviétiques. La capitale ne rappelle en rien le pays, mais elle en est le joyau. La mendicité est collante, parfois même vindicative. Détente
divertissante en compagnie d'Ukrainiens randonneurs intrépides et blagueurs. Usé mentalement, Tbilissi sera le point final de cette aventure. Banques fermées, je troque de la main à la main Euros
contre Laris dans une sombre arrière cour, le coeur battant, les jambes cotonneuses. Billet d'avion en poche, direction l'aéroport. Sans signalisation, l'aventure perdure jusqu'à la tour de
contrôle. Les soucis commencent, le vélo devient un encombrant, je veux dire... un boulet.
Dimanche 06 Juillet
A présent, au boulot
22h, je prépare bonhomme et matériel
01h, à l'embarquement le vélo est un bel os
04h, Ouf tout est dans l'avion, moi compris.
07h, transit à Istanbul sous le crachin.
10h, Paris-Roissy. Pas moyen de sortir de l'aéroport avec le vélo. Pour les bus et taxis c'est "Niet".
14h, La seule bouée est le RER mais alors quelle galère.
15h, sortie au forceps de la Gare du Nord, je m'écroule dans le train gare de l'Est.
19h, Belfort. La roue libre par 2 fois se rappelle à mon mauvais souvenir. Ses heures sont comptées.
20h, La maison est en vue, les amis présents, la soirée festive, la nuit longue ... elle dure encore. L'incompréhension de la situation Géorgienne a
achevé un mental usé par un itinéraire terriblement physique durant lequel j'ai eu à affronter des situations nouvelles. Je sors ébloui de cette aventure, qui de ma selle me paraît être une
grande victoire sur moi-même. A bientôt ... je l'espère.